Des catalogues au prix coûtant ?

Imbroglio comptable pour le droit de reproduction

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 30 janvier 1998 - 559 mots

Une loi de mars 1997, modifiant le code de la propriété intellectuelle, avait exonéré les reproductions dans les catalogues de ventes publiques. Elle renvoyait à un décret les modalités d’application. Le texte, publié au Journal officiel du 31 décembre 1997, est marqué par les ambiguïtés actuelles du marché de l’art et n’apportera sans doute pas la simplification escomptée.

PARIS - On pouvait trouver un peu excessif que les catalogues de ventes aux enchères, qui contribuent à la connaissance et à la notoriété des artistes, soient soumis en France au droit de reproduction, s’ajoutant au droit de suite. Me Jean-Claude Binoche l’avait manifesté avec éclat lorsqu’il avait vendu Les noces de Pierrette et qu’après avoir versé 9 millions de droit de suite à la Spadem, il s’était vu réclamer par celle ci, qui gérait alors les droits de Picasso, des droits de reproduction sur les catalogues de la vente. Avant lui, dans un procès à rebondissements, Guy Loudmer s’était mesuré à Jean Fabris, ayant droit d’Utrillo. In fine, malgré la résistance des juges d’appel, la Cour de cassation avait manifesté haut et fort qu’il n’y avait aucune raison pour que les reproductions de tableaux modernes et contemporains dans les catalogues de ventes aux enchères échappent au droit commun de la propriété intellectuelle.

Des solutions quasiment inapplicables
Les commissaires-priseurs avaient alors demandé et obtenu du législateur une dérogation. Mais les libellés de la loi et de son décret d’application, empêtrés dans les intérêts contradictoires des artistes et des officiers ministériels, conduit à des solutions quasiment inapplicables et juridiquement discutables. Un extrait de l’article R 122-12, créé par le décret d’application pour expliciter l’art R 122-5 introduisant la dérogation dans le Code de la propriété intellectuelle, résume toutes les contradictions du dispositif : “ (…) Le catalogue d’une vente d’œuvres d’arts graphiques ou plastiques s’entend des exemplaires d’une liste illustrée ou non, diffusée avant une vente aux enchères publiques, décrivant (...) les œuvres qui seront dispersées (...) et mise gratuitement ou à prix coûtant à la disposition de toute personne qui en fait la demande à l’officier public ou ministériel procédant à la vente“. Outre la maladresse de la “liste illustrée ou non“ (faudrait-il payer si l’on fait mention d’un artiste dans le catalogue sans reproduire son œuvre ?), le texte faisant référence au “prix coûtant“ va imposer une comptabilité quasiment impossible – quid des catalogues diffusés sur abonnement ? vendus à l’unité ? Le prix coûtant tiendra-t-il compte des exemplaires remis gratuitement, des frais de diffusion ? – qui va réduire les relations entre les commissaires-priseurs et les sociétés d’auteurs à des calculs de robinets qui gouttent...

De plus le texte, faisant référence aux officiers publics et ministériels, exclut de ce fait les maisons de vente aux enchères étrangères de la dérogation – ce qui n’est pas conforme au droit eu­ropéen  –, va encore valoir au marché français des accusations de malthusianisme et détourner un peu plus le marché vers l’extérieur. Enfin, ce dispositif ne va pas dans le sens d’une solidarité interprofessionnelle. Pourquoi les galeries, lorsqu’elles éditent et diffusent des catalogues de leurs artistes pour promouvoir des expositions de leurs œuvres, ne bénéficieraient-elles pas de la même dérogation ?

Si la loi et les textes d’application de la réforme des ventes volontaires suit cette logique alambiquée, voire fallacieuse, le marché de l’art français va finir par ressembler à l’univers des Shadocks.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : Des catalogues au prix coûtant ?

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