Créations lumineuses

Jacques de Vos expose Frank et les frères Giacometti

Le Journal des Arts

Le 30 janvier 1998 - 686 mots

Après trois expositions-ventes consacrées aux meubles de Jean Michel Frank, Jacques de Vos s’attache aujourd’hui à ses luminaires et, ceux qu’ont réalisés pour lui, de 1929 à 1941, les frères Giacometti, Alberto (1901-1966) et Diego (1902-1985). Un ensemble de quarante pièces que le galeriste a mis deux ans à réunir et qui présente pour la première fois simultanément les productions de ces trois artistes.

PARIS - “Imaginer la lumière” évoque l’histoire d’une rencontre, celle de Jean-Michel Frank et d’Alberto Giacometti dans le courant des années trente. À cette époque, Frank commande à Alberto des objets pour la boutique “Frank et Chanaux” qu’il tient au 140 rue du Faubourg Saint-Honoré. L’exposition est un succès ; l’afflux des commandes incite Alberto à solliciter l’aide de son frère. Ce sont les premiers pas dans la sculpture de Diego Giacometti... Axant son exposition sur la production des luminaires, Jacques de Vos prend le parti de les présenter tels qu’ils auraient pu l’être dans la boutique de Frank, posés sur les tables d’inspiration chinoise de l’artiste ou accrochés et soulignant alors de leur clarté diffuse les lignes massives des fauteuils cubes. Cet essai de restitution de “l’univers esthétique de Frank” souligne en outre la dichotomie de style de chacun des artistes.

Les frères Giacometti : une inspiration antique
Tout en conservant l’esprit de leurs créateurs, les pièces des frères Giacometti réalisées pour Frank reflètent le goût du décorateur. Elles se déclinent dans des tonalités douces, ocres ou écrues, et diffusent une lumière pâle et fortement tamisée. Jacques de Vos estime à une cinquantaine le nombre de modèles imaginés pour Frank par les frères Giacometti. Le galeriste en propose une dizaine, divisée en “familles de formes” : marine avec des “ap­pliques coquillages” et des “vasques patelles” en staff doré ; géométrique avec une lampe en plâtre “double Diabolo” munie de son abat-jour d’époque, une œuvre “jamais vue sur le marché parisien”. Mais la thématique récurrente des Gia­cometti reste l’antiquité. Si la “lampe en terre cuite” évoque l’art chinois, les lampes “têtes de femme, épaules relevées” (1936) révèlent l’influence de l’art étrusque. La Grèce archaïque a inspiré les visages sibyllins des lampes “Méduse” et des “Femme aux mèches”, l’Égypte la lampe en staff “Toutankhamon”(1933), une réminiscence du vase en albâtre découvert par Howard Carter en 1922.

Frank : un vocabulaire géométrique
Le naturalisme et l’attrait pour l’antiquité laissent place dans l’œuvre de Frank à une stricte recherche sur les formes et les lignes géométriques Sur le “lampadaire au piétement en chêne hélicoïdal sablé”, création massive aux lignes adoucies par la taille directe, les droites et les courbes s’opposent en perpétuelle tension. L’épais “disque” en verre de Saint-Gobin percé participe de cette même dualité et joue sur les effets de transparence. Si le choix de ses matières est pluriel, Frank les multiplie encore dans son usage du gainage. De Vos présente une “lampe de table en chêne recouverte de lamelles de mica” et, pièce phare de l’exposition, un très rare “lampadaire gainé de galuchat”.

Si l’on trouve assez fréquemment des lampes d’Alberto et Diego Giacometti sur le marché français et américain (cf. ventes Drouot, Tajan, le 24 novembre ; étude Ferri, le 19 décembre 1997), les lampes de Frank sont, comme le souligne Jacques de Vos, “extrêmement rares” : 440 000 francs donc pour le lampadaire gainé de galuchat, et 390 000 pour celui en chêne de forme hélicoïdale. Celles des frères Gia­cometti s’inscrivent dans une fourchette de prix allant de 150 à 300 000 francs, Ces prix ne doivent pas surprendre vu le marché actuel de l’art décoratif, et notamment les créations de Frank qui ont connu, comme le précise Jacques de Vos, une incontrôlable “enlevée des prix depuis les années quatre-vingt-dix”. La cote des œuvres de Frank est aujourd’hui à son zénith, estime-t-il, et ne devrait donc plus subir de variations flagrantes. Outre leurs évidentes qualités plastiques, elles seraient également devenues, selon lui, de fort “bons placements”...

IMAGINER LA LUMIÈRE : JEAN-MICHEL FRANK, ALBERTO ET DIEGO GIACOMETTI, exposition-vente jusqu’au 21 février, galerie Jacques de Vos, 7 rue Bonaparte, 75006 Paris, tél. 01 43 29 88 94, tlj sauf dimanche 10h30-13h et 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : Créations lumineuses

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque