Boutiques, galeries et foires se développent

Le Journal des Arts

Le 30 janvier 1998 - 1591 mots

Le poids de la bureaucratie chinoise, véritable obstacle depuis la fin de la Révolution Culturelle à la fin des années soixante-dix, commence enfin à s’alléger, au moins pour les arts plastiques. En octobre, le ministre de la Culture reconnaissait que « de plus en plus d’argent pour l’art affluait des particuliers » et que « le gouvernement encourageait les financements d’origine privée.» Du reste, le gouvernement prélève une taxe de 5 % sur les ventes de la foire d’art de Pékin. Néanmoins, les seuls artistes à bénéficier du soutien du gouvernement central ou régional, selon Xu Jiang, directeur du département des peintures à l’huile à l’Académie d’art Zhejiang de Hangzhou, sont les sculpteurs, qui reçoivent beaucoup de commandes publiques.

En 1993-1994, une exposition de l’avant-garde chinoise a circulé entre le Kunsthal de Rotterdam, le Musée d’art moderne d’Oxford et les Kunsthallen Brandts Klaedefabrik d’Odense. En 1997, une autre exposition, “Reckoning with the Past”, à la Fruitmarket Gallery d’Édimbourg et à la Cornerhouse Gallery de Man­chester, a reçu un accueil enthousiaste. Les peintres chinois de la “Nouvelle Vague” ont également été exposés au Neue Berliner Kunst­verein, de septembre à novembre 1997. À partir du 6 février, le Guggenheim Museum de New York consacre une grande exposition à “5000 ans d’art chinois”, qui comporte une section allant de 1949 à nos jours (lire page 8). Dans ce contexte, les galeries ne sont pas absentes. Voici un tour des galeries à Pékin, où le réseau est beaucoup plus développé, à Shanghai, où les étrangers reviennent, et hors du continent.

Les galeries de Pékin
Dans la capitale, le réseau des galeries est beaucoup plus développé, notamment dans le quartier des ambassades où ont proliféré des boutiques qui offrent aussi un large éventail d’art contemporain commercial. Une exposition de trois artistes à la Sybil Gallery, située dans le grand magasin Poly Plaza, a attiré les foules, si ce n’est les acheteurs.

La Hainan Hong Kong Macao International Trust & Investment Co. Ltd. et la Hainan Hong Kong Macao Assets Management Company se sont associées à l’Institut des beaux-arts pour créer à Pékin la CIFA Gallery. Ses expositions sont organisées par Weng Lin, figure éminente du monde de l’art, qui développe un programme assez audacieux, grâce à des accords avec des entreprises du secteur privé. Les artistes que cette galerie représente, comme Shen Xiao-Tong, sont parmi les meilleurs de la Chine. La CIFA est plus proche de la conception occidentale de la galerie que les boutiques.
Karen Smith et l’avocat de Hong Kong Handel Lee qui, avec la Courtyard Gallery, ont introduit l’art dans une ville naguère assez réticente, essayent de réaliser pour les artistes de Pékin ce que Lorenz Helbling accomplit pour ses poulains à Shanghai. Karen Smith dispose du meilleur espace d’exposition de la ville, une maison rénovée disposant d’une cour intérieure, à côté de la Cité Interdite. L’automne dernier, elle a fait visiter cinq villes chinoises à des membres de la Swiss Collectors Association pour leur montrer les œuvres exposées par quelques artistes de la “Nouvelle Vague”.
Parmi les visiteurs se trouvaient le grand collectionneur d’Impres­sionnistes français Rudi Stae­chelin, ainsi que Mme Barbier-Mueller, dont la collection d’art primitif est l’une des plus importantes au monde.

L’Australien Brian Wallace a ouvert la première galerie étrangère dans la capitale. Sa Red Gate Gallery dispose de beaucoup d’espace, même si une bonne partie dépend du grand salon du China World Hotel. Elle offre une sélection très complète des huiles de la “Nouvelle Vague” et défend maintenant aussi des sculpteurs, mais c’est la vente d’estampes qui assure le courant des affaires. Si la Red Gate représente le côté quelque peu commercial de l’avant-garde, Hans van Dijk, amateur hollandais d’art contem­porain chinois, recher­che, lui, les représentants les plus radicaux, tels que Wang Xingwei et Zhuang Hui, et se concentre sur les nouveaux médias et la photographie. Sa New Amsterdam Consultancy est située dans un pâté de maisons du centre-ville construit en 1994 mais qui donne déjà des signes de décrépitude. Les œuvres alignées sur les murs ont des allures subversives et se révèlent de virulentes satires politiques, sexuelles et sociales, le type même de créations que l’on pensait disparues de la scène artistique.

Les étrangers à Shanghai
La C&S Gallery de Shanghai a déménagé de la Tour de la télévision pour aller dans un petit entrepôt tout proche. Cette galerie édite toujours des catalogues et elle loue occasionnellement la galerie d’exposition au rez-de-chaussée du Musée d’art de Shanghai.

Cinquante ans après que les Européens et les Américains eurent été chassés de leurs concessions de Shanghai, les étrangers reviennent faire des affaires dans la plus occidentalisée des villes chinoises. ShanghART est toujours la seule galerie de Shanghai à vendre les artistes de la “Nouvelle Vague”. Située dans l’Hotel Port­man Shangri-la, elle est dirigée par Lorenz Helbling, historien de l’art et sinologue suisse-allemand. Il présente Ding Yi, Shen Fen, Nan Xi, Je Tie Haï, Ji Wen Yu, Tang Gio, Pujie et organise une fois par mois des expositions monographiques. Helbling et son équipe de trois assistants travaillent en permanence à promouvoir cette “écurie” auprès d’acheteurs, essentiellement étrangers, tel le défunt Peter Ludwig. Le collectionneur allemand avait acquis des stocks considérables auprès de la galerie. ShanghART pourrait bientôt avoir à déménager du Portman Shangri-la, mais une bonne partie des ventes se fait maintenant par l’Internet (http//www.shanghart.com), grâce à un financement de l’Hypobank. Selon Lorenz Helbling, le site a reçu plus de 20 000 consultations en décembre.

Entreprise japonaise basée à Tokyo, la J Gallery a ouvert sur Chang Le Lu en août 1997. Elle commercialise à prix fort des artistes émigrés comme Ding Shao Guan. Néanmoins, Sharon Shen, directrice de la galerie, reconnaît qu’elle “a pour l’instant plus de personnel que de clients !”

Les marchands à l’étranger
Les marchands occidentaux actifs dans la Grande Chine sont encore pour la plupart basés outre-mer. Le plus important est Marlborough Fine Art, à Londres, qui gère la carrière de Chen Yifei, premier artiste de la propagande communiste, auteur de l’Éloge du Fleuve Jaune (1971) et de la Prise du Palais présidentiel (1976), aujourd’hui au Musée militaire révolutionnaire chinois de Pékin. Chen, qui classe son travail dans la catégorie du “Réalisme romantique”, est parti en Amérique dans les années quatre-vingt. Mais il était présent en 1992 à Art Asia Hong Kong et représentait la République populaire de Chine à la Biennale de Venise de 1997. Son œuvre est couramment accrochée dans le China Club de David Tang, à Hong Kong, et s’est bien vendue à la Taipei Art Fair en novembre 1997. Gilbert Lloyd, propriétaire de Marlborough, a été le premier marchand londonien à exposer l’avant-garde chinoise, en collaboration avec Johnson Chang (Hanart TZ, Hong Kong), en décembre 1993. Il continue de vendre des artistes de la “Nouvelle Vague” et a récemment vendu des œuvres de Fang Lijun.

Le marchand de Hong Kong Manfred Shoeni, de nationalité suisse, s’est spécialisé dans une forme de Réalisme qui ressemble assez à celle que défend Gilbert Lloyd. Ses artistes viennent de l’Académie de Pékin, qui enseigne un art rigoureusement académique. Manfred Schoeni utilise à Pékin les services d’un intermédiaire, Guo Fang, chargé de dénicher de nouveaux talents. À la différence de Marlborough qui dispose de galeries dans le monde entier, M. Shoeni joue de ses relations privilégiées avec d’autres marchands occidentaux pour promouvoir la carrière de ses artistes. L’exposition “8 plus 8 minus 1”, mélange d’Avant-garde et de Réalisme, a été récemment présentée chez Connaught Brown, à Londres, bien que, selon Guo Fang, M. Shoeni préfère que “ses” artistes restent à Pékin, plutôt que de vivre ailleurs et de devenir une marchandise internationale comme les autres”. Pour Lucy England (Shoeni Hong Kong), “le marché de l’avant-garde n’est pas développé en Chine, et Hong Kong reste la première destination pour le collectionneur mondial.”
Plum Blossoms et Alisan Fine Arts, de Hong Kong, travaillent aussi avec les artistes du continent, mais la dernière exposition de Plum Blossoms a été pour un créateur de Hong Kong, Wucius Wong, dont les aquarelles sont une exclusivité de la galerie.

Chinese Contemporary, à Londres, est l’une des multiples galeries qui ont surgi ces dernières années pour répondre à l’intérêt croissant envers la peinture chinoise contemporaine. Elle organisera cette année une exposition de Shen Fen, l’un des artistes de ShanghART.

Toujours à Londres, Michael Goedhuis travaille en étroite collaboration avec le marchand de New York Eathen Cohen, qui a ouvert une galerie dans Soho en 1988. Michael Goedhuis lui a acheté des œuvres sur papier de Qin Deshu (Substance, self and consciousness) et un Bouddha priant de Kong Baiji. Selon E. Cohen, de nombreux collectionneurs américains ont été attirés par les images de la Révolution Culturelle et, plus tard, par les artistes émigrés, qui reconnaissent eux-mêmes qu’ils “se sont fait les dents en Amérique”, avant de pouvoir se prétendre au statut d’artistes internationaux.
Les galeries de Taiwan avaient l’habitude d’acheter en bloc l’entière production d’un artiste, puis d’attendre cinq ans et d’écouler leur stock, sur le marché intérieur ou à New York, à des prix fortement augmentés. Naturellement, l’artiste ne tirait aucun bénéfice de la spéculation réalisée sur son œuvre. Cette pratique commerciale est de moins en moins courante, car les marchands américains et européens viennent maintenant eux-mêmes sur le marché chinois et ont cessé de dépendre des ventes de seconde main de Taiwan.

Le rôle de Hong Kong pourrait bien diminuer à l’avenir, les acteurs du marché préférant aller directement à la source. Celle-ci est très clairement Pékin, tandis que Shanghai apparaît de plus en plus nettement comme le meilleur substitut de Hong Kong sur le continent.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : Boutiques, galeries et foires se développent

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