Éric Leroy, spécialiste en bande dessinée, Artcurial, Paris

« La bande dessinée est un marché de passionnés »

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2009 - 801 mots

Le marché de la bande dessinée ne s’est jamais aussi bien porté. Comment expliquez-vous cela ? Effectivement, en 2008, nous avons enregistré en trois ventes un produit de 7,6 millions d’euros, soit une hausse de 152 % par rapport à 2007. Et si, les 13 et 14 mars derniers, près de 600 lots se sont vendus pour 2 millions d’euros, c’est que la bande dessinée touche un vrai marché de passionnés. Il n’y a pas de spéculateurs. C’est pour cela que la BD fonctionne, même en temps de crise.

Comment s’articule ce marché ?
Il y a d’une part le marché des albums, domaine de connaisseurs faisant partie du monde de la bibliophilie ; d’autre part, celui des dessins originaux, lequel gagne le grand public. Ce marché ne cesse de se développer, d’autant plus que la gamme des prix est large, à partir de 100 euros jusqu’à 780 000 euros, prix de la gouache réalisée par Hergé pour la couverture de Tintin en Amérique, soit le dernier record atteint pour une planche de BD, le 29 mars 2008 chez Artcurial. Le point commun entre les amateurs d’albums et de dessins originaux est la charge nostalgique. Pour son acheteur, le dessin d’Hergé destiné à la couverture du Crabe aux pinces d’or – adjugé 372 000 euros le 14 mars (un record pour un dessin en noir et blanc d’Hergé) – était un souvenir d’enfance du premier album de Tintin que lui avaient offert ses parents.

Quelles sont les grandes étapes de cet engouement pour la BD ?
J’ai commencé les ventes de bande dessinée haut de gamme en 1996. À l’époque, je n’étais pas toujours pris au sérieux. Lorsqu’en 2005 j’ai rejoint la maison Artcurial, la BD avait commencé à décoller. Mais en 2007, la vente de 32 dessins d’Enki Bilal pour 1,3 million d’euros a créé un bing-bang. Cette vente a peut-être rassuré des amateurs de BD qui n’osaient sauter le pas. Il y a eu un effet d’entraînement, avec la confirmation des prix pour Bilal en 2008. Le 14 mars, la couverture couleur du roman d’Alfred E. Van Vogt, À la poursuite des Slans, signée Bilal, est partie à 13 000 euros, le double de son estimation.

Y a-t-il un phénomène particulier autour de Bilal ?
Bilal a une vraie personnalité artistique, un talent reconnu et une présence médiatique (notamment grâce au cinéma) qui ont marqué toute une génération. D’autres dessinateurs du 9e art connaissent un succès croissant, tel Nicolas de Crécy dont le graphisme est aussi immédiatement reconnaissable. Des planches originales de Crécy sont actuellement exposées au Musée du Louvre ; c’est une sorte de consécration. Le 21 novembre 2008, nous avons vendu une planche signée de Crécy, de la série Le Bibendum céleste, pour 11 770 euros, trois fois son estimation.

Outre la planche de Tintin, quels ont été les résultats intéressants de la dernière vente ?
Au chapitre des albums, L’Étoile mystérieuse, un des cinq exemplaires connus en noir et blanc publiés en 1943, est montée à 103 000 euros, un record pour un album. Un tirage de tête en très bel état des Aventures de Tintin reporter du Petit Vingtième au Congo, signé « Tintin et Milou » par Hergé, a été emporté à 74 000 euros. J’en ai vu passer moins de cinq en quinze ans.
Du côté des planches originales, il faut noter l’enchère de 54 000 euros pour une planche noir et blanc en cinq strips de La Saga des gaffes par Franquin. Une planche couleur tirée d’Harzach de Moebius, qui fonctionne comme une illustration à part entière bien qu’elle s’inscrive dans une histoire, a fait 36 000 euros. Une impressionnante illustration couleur de l’album Foufi et la lampe d’or de Kiko, reproduite en couverture du catalogue, est partie à 12 200 euros, trois fois son estimation basse.

Le catalogue composé de plus de 800 lots est impressionnant…
Depuis deux ans, il nous arrive fréquemment d’organiser des ventes comptant 800 à 1 000 lots. Cela nous permet d’avoir une offre aussi diversifiée que la demande. Du reste, nous sommes attachés à publier un volumineux et luxueux catalogue cartonné où tous les lots sont reproduits. C’est important, car beaucoup d’acheteurs se décident sur catalogue. Nous soignons également nos expositions. Pour cela, j’ai bénéficié de la totalité du 2e étage de l’hôtel Dassault.

Qu’est-ce qui n’a plus la cote en BD ?
La BD française des années 1920, tels Les Pieds Nickelés ou Bécassine, connaît une baisse de régime, au profit de nouveaux talents qui arrivent régulièrement sur le marché. La bande dessinée est un art qui évolue sans cesse…

Bandes dessinées, vente du 13 et 14 mars, Artcurial : Résultats : 2 millions d’euros (estimation : 1,6 à 1,8 million d’euros) ; Nombre de lots vendus/invendus : 571/252 ; Lots vendus : 69 %.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Éric Leroy, spécialiste en bande dessinée, Artcurial, Paris

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