Les musées au diapason

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2009 - 1101 mots

La musique s’est progressivement imposée dans les musées français. Grâce à une programmation souvent pointue, les auditoriums offrent une alternative bienvenue aux salles de concert traditionnelles

Les heureux spectateurs du concert de sitar de Ravi Shankar au Musée Guimet, à Paris, en 1956, n’avaient sans doute jamais entendu parler du langage « marketing », et encore moins de la notion de « diversification de l’offre ». Les concerts dans les musées ne sont pas nouveaux, mais s’est développée au cours de ces vingt dernières années une professionnalisation de ce mariage entre les arts et la musique, au point de voir apparaître un circuit parallèle aux grandes salles de concert. Il serait très réducteur de considérer l’enrichissement artistique qu’apporte la musique comme une simple carte dans le jeu des diverses activités et services proposés par un musée (conférences, ateliers pédagogiques, librairie, restauration…). Alors que la musique présente cet avantage de drainer un public différent, l’auditorium bénéficie d’une structure solide qui lui permet de proposer des spectacles pointus (musique, danse, performances, lectures, cinéma…), en d’autres termes, commercialement risqués pour une salle privée. Prétexte idéal pour la fidélisation de nouveaux visiteurs par le biais de rendez-vous réguliers, la programmation musicale peut, au choix, rester indépendante de celle de l’institution, ou s’accorder aux figures imposées par les collections permanentes et aux variations thématiques des expositions temporaires. Si certains musées, faute d’infrastructures et de moyens, se contentent d’animations musicales ponctuelles dont la gestion est confiée à des associations (les Amis du musée par exemple), d’autres ont inscrit la musique dans leur cahier des charges sous des mobiles aussi sérieux que créatif.

Le modèle du Met
Avec l’ouverture en 1977 du Centre Pompidou, à Paris, naissait en France l’idée d’un complexe pluridisciplinaire où la musique et les beaux-arts, entre autres, étaient désormais considérés sur un pied d’égalité. Dans le cas du Centre, les concerts et le Musée national d’art moderne sont deux entités à la programmation indépendante, bien que n’excluant pas des lignes transversales – ainsi à l’occasion de la rétrospective Jacques Villeglé à l’automne 2008, lors de laquelle les compositeurs Pierre Henry et David Coll ont proposé deux créations inspirées de l’œuvre de l’artiste. En 1986, le Musée d’Orsay reprenait ce concept de pluridisciplinarité, mais son auditorium est, lui, tenu de garder une cohérence avec le programme des expositions tout en bénéficiant d’un budget propre. « L’idée était de montrer ce que l’on ne montre pas dans les salles », explique Pierre Korzilius, directeur de la programmation musicale d’Orsay. À l’époque, les rares auditoriums de musée n’étaient consacrés qu’aux conférences et autres colloques scientifiques ; même celui du Grand Louvre, inauguré en 1989, n’était pas conçu au départ pour accueillir des concerts. Alors directeur de l’établissement, Michel Laclotte a souhaité prendre exemple sur le Metropolitan Museum of Art de New York, où se déroule chaque année le festival de Marlboro Music. Depuis, l’Auditorium du Louvre propose près de 400 spectacles par an, et la musique comme le spectacle vivant au sens large se sont peu à peu insinués dans la quasi-totalité des musées français, avec plus ou moins d’originalité. Selon les moyens financiers dont elle dispose, une institution se contente d’accueillir des artistes en tournée, ou bien détermine un projet artistique à chaque début de saison en lien, ou non, avec l’actualité du musée. Le plaisir étant de concevoir et produire des spectacles qui sortent des sentiers battus, de commander des œuvres à des compositeurs ou d’inviter des musiciens à s’exécuter sur un thème imposé.
Parmi les plus dotés (entre 1 % et 2 % du budget de fonctionnement du musée), les auditoriums d’Orsay, du Louvre et du Musée du quai Branly se spécialisent dans ces productions dont l’organisation peut se révéler très lourde. Pour Monique Devaux, directrice artistique des concerts au Louvre, il était important à l’origine de « faire ce qui ne se faisait pas à Paris ». Aussi ces manifestations nécessitant deux à trois ans de préparation relèvent-elles de l’artisanat. « Nous essayons de trouver un biais original et de créer des modules uniques », renchérit Alain Weber, programmateur au Quai Branly. Tandis que le Louvre a vu débuter des stars de l’art lyrique comme Nathalie Dessay, Orsay, avec sa série de théâtre d’ombres du cabaret montmartrois du Chat noir, propose des spectacles que seul un musée peut offrir – une quarantaine de ces plaques en zinc extrêmement fragiles datant du XIXe siècle ont été acquises par le musée en 2004. L’expérience musicale peut aussi venir compléter le cadre muséal, à l’image des chants des troubadours qui résonnent dans la salle des sculptures de Notre-Dame de Paris au Musée de Cluny. En novembre dernier, à la fin de son concert au Musée Guimet, l’ensemble japonais Koma muni de ses instruments a quitté la scène de l’auditorium et, suivi par les spectateurs médusés, s’est mis à déambuler dans les salles au rythme des percussions…

Pause concert
À côté des grands concerts du soir assidûment fréquentés par les mélomanes avertis, les formules ultrarapides programmées entre midi et deux heures offrent aussi des rencontres avec la musique de chambre (les « Midi-Musique » du Palais des beaux-arts de Lille) et autres happenings musicaux dans les salles (le « Dimanche des arts », parcours musical dans les collections du Musée de Grenoble). Les tarifs étant très inférieurs à la moyenne, ces concerts sont une alternative appréciée des amateurs aux revenus modestes – d’autant plus quand ils sont gratuits ! Les coûts d’organisation allant croissant, les partenariats se font aussi plus fréquents. Habitués à faire venir des musiciens de l’étranger, le Quai Branly et le Musée Guimet travaillent régulièrement avec les ambassades pour obtenir des aides financières ou logistiques (visas, transports…). « Certains ministères de la Culture peuvent financer jusqu’à 80 % du coût du spectacle, car ils sont heureux de trouver un moyen de diffusion », révèle Hubert Laot, directeur artistique de l’auditorium de Guimet. Le recours au mécénat d’entreprise et le partenariat avec les médias permettent également l’organisation de concerts exceptionnels à moindre coût. Ainsi ceux proposés dans le cadre de la Nuit des musées ou de la Fête de la musique. Pour exemple, Kurt Masur et l’Orchestre national de France sont désormais des habitués de la nef du Musée d’Orsay grâce à la contribution active de Radio-France, qui diffuse le concert sur ses ondes. De là à inviter un compositeur en tant que commissaire d’une exposition, il n’y a qu’un pas, franchi allégrement par le Louvre avec Pierre Boulez à l’automne dernier. Rares sont toutefois les commissaires capables de diriger un orchestre symphonique et d’offrir un Sacre du printemps au public sous la pyramide du Louvre !

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Les musées au diapason

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