Art contemporain

Rétrospective

Le langage du corps

Par Julie Portier · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2009 - 658 mots

NANTES

Le FRAC des Pays de la Loire remet de l’ordre dans l’œuvre de Gina Pane avec une exposition présentée au Hangar à bananes à Nantes.

NANTES - Les pieds dans la terre et la tête se détachant sur le ciel, l’artiste campée au centre du paysage, dans cette Situation idéale (1969), pensait sa place dans le monde. Dix-neuf ans après la disparition de Gina Pane (1939-1990), la rétrospective présentée au Hangar à bananes sur l’Île de Nantes repense la place que lui accorde l’histoire de l’art. Cette photographie présageait-elle du destin critique de cette œuvre, encore mal connue en dépit de l’exposition de 2005 au Centre Pompidou ? Ce titre repris pour l’exposition nantaise s’impose en commentaire : « idéal » par l’espace ici offert aux grandes installations comme l’Alignement infini (disposée en 1969 sur la plage de Deauville), ce parcours dans la – courte – carrière de Gina Pane bénéficie aussi de la condition idéale du FRAC (Fonds régional d’art contemporain) des Pays de la Loire. Car l’institution accueille depuis 2002 l’importante collection d’Anne Marchand, légataire principale de l’artiste. Cette vue d’ensemble, depuis les peintures géométriques du début des années 1960 jusqu’aux dernières compositions de métal, verre et feutre, démontre la cohérence du travail dans sa multiplicité. Premier argument, les expérimentations plastiques menées par Gina Pane ont toujours résonné sur la scène contemporaine. En effet, si, grâce à l’éclairage critique d’un François Pluchart, elle est identifiée dès 1970, alors qu’elle s’inflige ses premières blessures, comme une figure pionnière de l’art corporel, ses sculptures monumentales composées de volumes simples la rapprochent de l’art minimal américain. L’emploi de matériaux pauvres comme les cubes de bois reliés par des cordages dans son hommage aux marins japonais, La Pêche endeuillée (1969), trouve un écho dans l’Arte povera. Aussi, les opérations symboliques menées dans la nature et documentées par les premières compositions photographiques (Action, Pierres déplacées 1968) rejoignent, au-delà d’un fort sentiment écologique, les chemins du land art empruntés par Richard Long pour rompre avec les codes de l’art moderne. Le dernier volet, le moins connu, reflète encore la pertinence d’une démarche qui, déclarant la fin de l’implication du corps dans l’œuvre, se prête à l’autoréférence. Dans ses « Partitions » commencées en 1982, Pane associe des photographies d’actions passées à une composition sculpturale qui combine des formes issues de son vocabulaire esthétique.
L’œuvre ne cesse de renégocier son rapport au spectateur, l’invitant d’abord à y déambuler. Puis, la mise en danger du corps de l’artiste bouleverse l’expérience esthétique. En s’infligeant des blessures au cours de certaines performances, Gina Pane interroge la distance qui la sépare du public, et teste les limites du supportable. Pluchart y voit l’élaboration d’un langage spécifique où le corps devient un nouvel instrument critique. L’engagement politique, féministe ou anticapitaliste se résout dans l’implication du corps. La souffrance endurée par l’artiste  exprime la violence et l’hypocrisie du monde. Ce schéma spirituel qui pose l’artiste en martyr pour expier les crimes de l’humanité substituera à son corps  celui des saints. Les dernières œuvres représentent ceux-ci à travers leurs attributs réduits à des signes plastiques.
La dimension esthétique des « Partitions » (Partition pour une feuille de menthe, 1985) caractérise aussi toute l’œuvre de Gina Pane. Le goût de la couleur et de la composition qui s’annonçait dans les peintures de jeunesse transparaît dans les panneaux photographiques qui documentent les actions. En effet, la trace a ceci de particulier chez Pane qu’elle fait œuvre. Aussi, la minutie des dessins préparatoires et des scénarios qui régissent les performances semblent contredire l’acte libérateur qui s’y joue. Elle replace pourtant l’œuvre dans le champ de la représentation, et confirme qu’il y est toujours question du langage de l’art.

GINA PANE, SITUATION IDÉALE, jusqu’au 26 avril, Hangar à bananes, quai des Antilles, Île de Nantes, 44200 Nantes, tél. 02 28 01 57 62, du mardi au dimanche 13h30-18h30. Catalogue à paraître, éd. FRAC des Pays de la Loire.

GINA PANE
Nombre d’œuvres : 50

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Le langage du corps

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