Éditorial

Usine à penser

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 17 mars 2009 - 339 mots

« Vous avez apporté votre soutien, votre concours, à des artistes français, à commencer par [Adel Abdessemed], qui est exposé ici, qui suscite la controverse, mais mieux vaut la controverse que l’indifférence. Les débats ont été provoqués par une exposition forte, touchante, émouvante, et, d’une manière aussi, provocante. » Ainsi s’est exprimé Jack Lang à Turin le dimanche 15 mars, en remettant à Patrizia Sandretto Re Rebaudengo, présidente de la fondation éponyme, les insignes de chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres. Que l’exposition de l’artiste franco-algérien a créé la controverse est peu dire, puisque son ouverture au public a du être repoussée de plusieurs jours. En cause : une série de vidéos rassemblées sous l’intitulé Don’t trust me et qui montrent différents animaux abattus à coup de masse. Cette pièce, déjà présentée à Grenoble sans avoir suscité la moindre opposition, avait entraîné la fermeture de l’exposition de l’artiste au San Francisco Art Institute après que celui-ci avait reçu des menaces de mort de la part d’associations de défense des animaux.
Pour parer à toute polémique, la Fondation Sandretto Re Rebaudengo avait invité préalablement les associations de protection des animaux du Piémont à visionner ces vidéos, mais aussi l’une des dernières de l’artiste, Usine. Ce film met en scène une cour dans laquelle ont été réunis des serpents, mygales, scorpions, qui cohabitent pacifiquement, à la différence des chiens et coqs, des animaux domestiques qui s’attaquent mutuellement et violemment. La réaction ne s’est pas fait attendre : l’interdiction de l’exposition fut demandée. Finalement, après avoir regardé les œuvres, un juge de Turin a autorisé la manifestation à ouvrir ses portes jusqu’au 18 mai. Cette affaire est symptomatique du statut dans lequel se trouve aujourd’hui l’art. Alors que les images les plus violentes et les plus obscènes sont abondamment diffusées en toute impunité à la télévision ou sur Internet, il serait impossible aux artistes de faire le constat des dérives de notre propre société, comme le fait ici Adel Abdessemed. Il est parfois difficile de se regarder dans le miroir.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°299 du 20 mars 2009, avec le titre suivant : Usine à penser

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