Art nouveau

Lois organiques

Par Armelle Malvoisin · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2009 - 772 mots

De rares verreries et meubles d’Émile Gallé, provenant des descendants de l’artiste, créent l’événement à Drouot.

PARIS - La maison Ader dispersera le 20 mars à Drouot un rare ensemble de plus de cent meubles et objets d’art de la période Art nouveau. Il comprend surtout soixante-dix pièces de la succession Jean Bourgogne, unique petit-fils d’Émile Gallé (1846-1904). Disparu en 1999, Jean Bourgogne avait dirigé la manufacture de verreries, de 1926 jusqu’à sa fermeture en 1931. Les œuvres de Gallé, restées chez les descendants de l’artiste jusqu’à ce jour, proviennent en partie du mobilier familial de la maison de La Garenne à Nancy. D’autres avaient été réalisées par Gallé pour l’Exposition universelle de 1900 à Paris.
Le marché de l’Art nouveau est ténu, en grande partie parce que trop peu de pièces sont en circulation. « Trois ou quatre fois par an, on voit passer de jolis vases et, plus rarement, un beau meuble de Gallé, mais c’est tout », confirme l’expert Côme Remy. Les collectionneurs qui s’y intéressent sont de grands connaisseurs. Ils devraient vivement réagir à cette dispersion exceptionnelle alliant qualité et pedigree aux estimations très attractives. Quelques lots sont aussi susceptibles d’attirer l’attention des institutions internationales. Les musées français tireront leur révérence. En effet, ils ont à plusieurs reprises bénéficié des largesses des héritiers d’Émile Gallé, lesquels ont fait de nombreux dons aux Musées d’Orsay, de Nancy et de Reims.
« Les Hommes noirs »
On remarquera une série de verrerie couronnée par le vase Les Hommes noirs, estimé 60 000 euros. Sur cette pièce de 39 cm qui fait partie des « vases parlant » figurent au col les inscriptions « Hommes noirs d’où sortez-vous ? » et « Nous sortons de dessous terre », vers tirés de l’œuvre poétique de Pierre-Jean de Béranger (1780-1857), que Gallé a repris en hommage à Dreyfus dont il avait été un ardent défenseur. « Ce vase “militant”, signé Gallé et Victor Prouvé, relève aussi d’une technique très avancée, par son décor floral dégagé à l’acide et repris à la roue, réalisé par Victor Prouvé, peintre décorateur de l’école de Nancy et père de Jean Prouvé. Il a été fait pour l’Exposition universelle de 1900 », précise l’expert. Un exemplaire similaire est conservé au Musée de l’École de Nancy. Pièce unique, le vase Tulipe d’un blanc neigeux (couleur rare en verrerie), avec son décor d’application en verre, est tout à fait remarquable. Estimé 10 000 euros, il est livré avec son dessin aquarellé préparatoire, réalisé à l’échelle.
Parmi les belles pièces d’ébénisterie, une commode Champ du sang, réalisée vers 1900 et dédiée aux victimes arméniennes des massacres du sultan Abdul Hamid de 1894 à 1896, symbolise à nouveau l’engagement politique de Gallé. Exposé à la rétrospective Gallé à Paris au Musée du Luxembourg en 1985-1986 et estimé 30 000 euros, ce meuble en noyer turc est marqueté d’un champ de tulipes (fleurs originaires d’Arménie) fauchées et gravé sur son plateau en onyx oriental d’un rameau fleuri et des mots de « prunus armeniaca » (abricotier), l’arbre national du pays martyr. Une citation inscrite sur la ceinture, « Prenez garde à la sombre équité. Prenez garde », est signée « Victor Hugo » sur un pied de la commode. Il existe trois autres exemplaires de cette commode dont une au Musée des beaux-arts de Reims. Les deux autres figurent dans des collections privées.
Estimée 40 000 euros, le médailler Les primevères, conçu dans un style japonisant, au décor marqueté de motifs floraux, est signé des initiales « E. G. » sur un côté. Sur l’autre versant, on peut lire « Gallé delineat et fecit 1900 », en référence à l’Exposition Universelle de Paris en 1900 pour laquelle ce meuble a été fait. Notons encore la chaise Dahlia à dossier sculpté en forme de feuille marquetée de fleurs, estimée 4 000 euros, et la chaise Le Merisier de Ste Lucie, estimée 3 000 euros, soit deux modèles exposés à l’Exposition universelle de Paris en 1900. Le Musée de l’École de Nancy possède une chaise Le Merisier de Ste Lucie, en merisier sculpté à dossier écusson marqueté de fleurs et doté des inscriptions « Henri de Vilmorin, Grand Duc Alexis, Jeanne d’Arc, Dahlia bleu… », qui fut réalisée en trois exemplaires pour le célèbre grainetier Henri de Vilmorin.

ART NOUVEAU, ÉMILE GALLÉ, SUCCESSION JEAN BOURGOGNE, vente le 20 mars à Drouot, 9, rue Drouot, 75009 Paris, SVV Ader, tél. 01 53 40 77 10, www.ader-paris.fr, exposition publique : le 19 mars 11h-18h et le 20 mars 11h-12h.

ART NOUVEAU, ÉMILE GALLÉ
Expert : Côme Remy
Estimation : 400 000 euros
Nombre de lots : 118

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Lois organiques

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque