Histoire de l’art

Corot et ses frères

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 3 mars 2009 - 704 mots

Dans une exposition coproduite avec le Louvre, le Musée des beaux-arts de Reims analyse l’apport de Corot dans l’évolution de la peinture moderne.

REIMS (CHAMPAGNE-ARDENNE) - Projet longtemps resté dans les cartons de Jean-Pierre Cuzin, ancien conservateur au département des peintures du Musée du Louvre, et finalement repris par Vincent Pomarède, directeur actuel du même département, « De Corot à l’art moderne » devait se contenter d’une tournée au Japon, à Tokyo et Kobe. C’était sans compter sur l’enthousiasme de David Liot, directeur du Musée des beaux-arts de Reims, institution qui conserve la plus importante collection de peintures de Jean-Baptiste Camille Corot (1796-1875) en Europe, après le Louvre. Coproduite par les deux musées, cette unique étape française – une escale à Vérone est en pourparlers – s’est enrichie de quelques toiles au passage.

Si la descendance de certains artistes, comme Delacroix, jusqu’à l’impressionnisme est reconnue et largement étudiée, la filiation de Corot l’est moins. Cette approche comparative entre le maître de la Ville d’Avray et les jeunes peintres de l’avant-garde des années 1860 et 1870 prend heureusement sa source dans des faits avérés, rencontres, écrits, déclarations…, évitant ainsi des liens trop superficiels, voire hasardeux. Seule la dernière salle associant librement des esquisses de Corot avec des dessins de Kandinsky se risque à prendre un parti original. Articulée de manière thématique – La campagne française, Les vues panoramiques et architectures, Les muses…–, cette étude fait ressortir le travail de Corot d’une manière insoupçonnée. Les tableaux juxtaposés agissent tels des couleurs complémentaires, et révèlent la modernité comme les limites du peintre. À l’image de cette toile tardive d’Eugène Boudin, Le Crépuscule sur le bassin du commerce au Havre (vers 1892-1894), qui regarde du côté de l’abstraction, une direction que Corot a soigneusement évitée. En peinture en tout cas, car ses esquisses au crayon s’aventurent dans les mêmes territoires audacieux que celles de Kandinsky.

Autre élément frappant : celui du cadrage. Près d’un siècle avant l’invention du Cinémascope, Corot adopte des plans panoramiques pour ses paysages bucoliques, évoquant l’immensité de la nature (Paysage du Morvan, vers 1850). Derrière l’image du peintre à l’univers idyllique et vaporeux, baignant dans des « brumes argentées », se cache un authentique architecte pictural. Sa maîtrise de la composition est indéniable dans la section « Rideaux d’arbres, rideaux de scènes ». Les arbres n’y sont pas dépeints en tant que tels, mais en tant qu’éléments structurels de la nature. Un précepte que l’on retrouve chez Cézanne (Arbres et maisons, vers 1885), où l’enchevêtrement de branches laisse transparaître les maisons en arrière-plan, ou encore chez Sisley, dont l’arbre penché du Bois des roches. Veneux-Nadon (1880) contrebalance avec force la diagonale du chemin de halage qui file sur la droite. Idem pour les personnages fondus dans les roches de Fontainebleau ou dans les feuillages de Ville d’Avray, et que l’on ne devine qu’au bout de quelques secondes d’observation. Pissarro diluera avec la même allégresse les silhouettes de ses personnages dans la touche foisonnante de Chemin sous bois, en été (1877).

N’oublions pas l’omniprésence de l’eau et de ses reflets, ceux des étangs de Ville d’Avray, qui permettent de profiter de trois toiles de François-Auguste Ravier issues des collections du musée rémois. Le choix d’accueillir cet ami de longue date de Corot, un peintre singulier mais moins exposé que ses comparses, est judicieux. Il excelle dans la superposition des plans, où l’eau, les arbres et le ciel se confondent. Cette technique sera poussée à la perfection, et jusqu’à l’abstraction par Monet dans ses Nymphéas.

DE COROT À L’ART MODERNE : SOUVENIRS ET VARIATIONS, jusqu’au 24 mai, Musée des beaux-arts de Reims, 8, rue Chanzy, 51100 Reims, tél. 03 26 35 36 00, tlj sauf mardi 10h-12h et 14h-18h. Catalogue, éd. Hazan, 216 p., 39 euros, ISBN 978-2-7541-0380-0.

DE COROT À L’ART MODERNE
Commissaires : David Liot, conservateur en chef et directeur du Musée des beaux-arts de la Ville de Reims ; Vincent Pomarède, conservateur général et directeur du département des Peintures au Musée du Louvre, à Paris ; Michael Pantazzi, ancien conservateur des arts européens, National Gallery of Canada, Ottawa.
Nombre d’œuvres : environ 80
Mécénat : Cercle des mécènes du Musée des beaux-arts de Reims (Vranken Pommery Monopole, BNP Paribas et les biscuits Fossier)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°298 du 6 mars 2009, avec le titre suivant : Corot et ses frères

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