Pignon dans sa diversité

Le Palais des beaux-arts de Lille corrige l’image d’un peintre « engagé »

Le Journal des Arts

Le 30 janvier 1998 - 537 mots

Parce qu’il a été galibot, ouvrier et membre du parti communiste, Édouard Pignon (1905-1993) a longtemps été considéré de façon quelque peu réductrice comme un peintre “social�?, un artiste “engagé�? dans la lutte prolétarienne... Cette rétrospective, la première depuis sa mort, propose une relecture de son œuvre.

LILLE - La rétrospective Pignon offre au Palais des beaux-arts l’occasion de rendre hommage “à un enfant du pays”. Elle marque également les nouvelles orientations de sa politique d’expositions temporaires, ouverte aux artistes mo­dernes et contemporains. À travers 92 toiles, 78 dessins et carnets de croquis, elle veut “gommer les idées toutes faites” et mettre en évidence la pluralité et l’originalité des recherches d’un artiste qui n’a cessé de se placer à contre-courant des modes, rebelle à l’abstraction – “une négation de la vie”, selon lui – comme au réalisme socialiste. De ses premiers portraits “ressemblants” des années vingt jusqu’à sa dernière série de nus matissiens (1989), au chromatisme violent, en passant par ses diverses séries sur le paysage et le mouvement, l’art de Pignon apparaît effectivement aussi pluriel que la réalité qu’il cherche à rendre. La scénographie, en créant espaces fictifs et jeux de perspectives qui permettent “un regard multiple sur l’œuvre”, en accentue presque à l’excès la démonstration.

Un artiste sériel
Si les premières toiles post-cubistes qui ont forgé sa réputation d’artiste “engagé” – les Usines et les Meetings, (1933-1936), mais surtout ses deux versions de L’Ouvrier mort (1934 et 1954) – n’ont pas été occultées, l’accrochage thématique met surtout en valeur la démarche sérielle entreprise à partir de 1945. “Une série, c’est une série de démar­ches pour connaître. La création n’est qu’une série d’hésitations”. Oubliant cubisme et sujets sociaux, Pignon entreprend sa quête de la réalité. Elle n’est plus seulement celle des hommes pris sous le joug de l’histoire, mais ouvre son regard à l’espace (les Paysages 1952-1958), à la lumière, enfin au mouvement, thème récurent qui sera traité dans les séries Combats de coqs (1958-1984), Battages (1959-1962), les Batailles (1961-1964) ou encore les Plongeurs. Des œuvres dures et violentes qui l’entraînent jusqu’aux frontières de l’abstraction, et dont les couleurs sobres ou lumineuses mais toujours saturées annoncent les néo-expressionnistes et les nouveaux fauves. Plus intimistes et tempérées, ses séries des Nus au parasol (1971-1974), des Dames du soleil ou encore des Nus géants (1986-1989), influencés par Cézanne et Matisse, sont le résultat de ses dernières recherches sur une hypothétique bidimensionalité de l’espace. Pignon réinvente la réalité : les corps se tordent, se disloquent, puis finissent par envahir, en des raccourcis vertigineux, l’espace entier de ses toiles.

L’exposition mise néanmoins un peu trop sur les effets des œuvres et ne brille pas par son didactisme. Certes, l’immense salle souterraine de 700 m2 est à la mesure des grands formats, mais elle ne se prête guère à un parcours diachronique, à même de révéler le véritable développement de sa démarche artistique. Il est également regrettable que les œuvres graphiques, pourtant primordiales dans la genèse de son travail, aient été exilées au fin fond du musée.

ÉDOUARD PIGNON RÉTROSPEC­TIVE, jusqu’au 1er mars, Palais des beaux-arts de Lille, 18bis rue de Valmy, 59000 Lille, tél. 03 20 06 78 00, tlj sauf mardi,12h-18h, lundi 14h-18h, vendredi 12h-20h. Catalogue 224 p., 150 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°53 du 30 janvier 1998, avec le titre suivant : Pignon dans sa diversité

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