Art moderne

Léger, un poids lourd

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 17 février 2009 - 719 mots

L’exposition consacrée à l’artiste à la galerie Malingue vient dynamiter la morosité ambiante.

PARIS - Quand certains marchands font le dos rond et réduisent le nombre ou l’ambition de leurs expositions, d’autres vont de l’avant. Foin du pessimisme ambiant, Daniel Malingue a choisi de mettre en scène quinze œuvres de Fernand Léger. « Avec la crise, soit on arrête, soit on continue. Je ne veux pas faire le planton. J’aime partir à l’attaque dans les moments difficiles », explique le marchand. Le choix de Léger est d’autant plus circonstancié dans le climat actuel que l’optimisme tonique du peintre avait fait dire à Apollinaire : « quand je vois un tableau de Léger, je suis bien content. » L’accrochage n’égrène toutefois pas la face la plus joyeuse du peintre, entre cirque et bastringue. Elle ne joue pas plus sur une échelle monumentale. L’événement se cale en revanche astucieusement sur la vente Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, laquelle propose quatre œuvres de Léger (lire p. 17 à 21).
De prime abord, le visiteur risque d’être surpris par un parcours construit au gré d’associations visuelles, suivant une chronologie à rebours. Ce cheminement inversé ménage néanmoins un suspense dont le point d’acmé se trouve dans l’uppercut final du Grand Déjeuner. Les œuvres de la première salle offrent un raccourci des préoccupations plastiques de l’artiste. L’exposition débute avec Les Bois Polychromes de 1944, avant le retour de l’exil américain. On y décèle certaines récurrences, comme les néons et les pistons ou encore les arbres noueux. Deux tableaux très séquencés de 1927 et un autre plus éclaté de 1937 rappellent la fascination de Léger pour le Septième Art, son goût prononcé du zoom qui, en isolant un élément, le rend presque abstrait. Dans les deux compositions de 1927, se devinent aussi les relents puristes et un penchant pour les vitrines de magasins où l’objet est magnifié, transformé en sujet.
Impossible de montrer Léger sans donner la parole à l’humain. C’est chose faite avec une Composition aux trois figures (1932), où le peintre associe les formes abstraites à trois personnages aux gestes emphatiques, rappelant les grandes femmes sur la plage de Picasso. Moins froide que dans ses tableaux précédents comme L’Homme au chandail de 1924, la figuration est ici personnalisée, étrangement élégante pour ne pas dire maniériste. Comme si l’homme redevenait sujet et non plus objet. Un postulat très différent de la Danseuse aux clés de 1929, emblématique de cette formule de Léger : « La figure humaine, le corps humain n’ont pas plus d’importance que des clés ou des vélos. C’est vrai. Ce sont pour moi des objets valables plastiquement et à disposer suivant mon choix. » D’ailleurs, dans Marie l’Acrobate (1934), le trait se raidit et les visages perdent de leurs nuances psychologiques par rapport à la Composition aux trois figures.

Périodes marquées
La suite du parcours provoque un retour temporel saisissant. Trois œuvres dessinent la transition entre la période des Contrastes de formes et celle des Éléments mécaniques. Très construites, presque besogneuses dans leur orchestration géométrique, celles-ci attestent de l’influence puriste du peintre. Dans l’Usine, de 1918, évoque étrangement l’un des tableaux de la vente Saint Laurent-Bergé. Au bras de fer de la comparaison, la version accrochée chez Malingue s’en sort haut la main, tant ses teintes sont plus fraîches et raffinées. Quelque peu inertes, ces toiles résistent toutefois mal face au superbe Cylindres colorés de 1918, rappelant les Contrastes de formes où Léger se démarque du cubisme en introduisant le mouvement.
Après la mise en bouche des Formes cylindriques, l’apothéose survient dans la dernière salle avec le Grand Déjeuner de 1921. Une toile d’une présence telle qu’elle éclipse irrémédiablement ses voisines. Même le petit bijou de 1920, La Femme au miroir, où Léger introduit pour la première fois la figure féminine, s’incline devant cette pièce dont une variante se trouve au Museum of Modern Art (MoMA). Qu’y voit-on ? Trois femmes nues, opulentes, presque archétypales, dans la lignée des Odalisques du Bain Turc. Par une pirouette dont le marché a le secret, un des éléments de cette composition, la Tasse de Thé, se trouve dans la vente Saint Laurent-Bergé. La boucle est bouclée, avec brio.

Fernand LÉGER, du 21 février au 30 avril, Galerie Malingue, 26, avenue Matignon, 75008 Paris, tél. 01 42 66 60 33, mardi-vendredi 10h30-12h30 et 14h30-18h30, lundi et samedi 14h30-18h30.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°297 du 20 février 2009, avec le titre suivant : Léger, un poids lourd

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