Étranger

Œuvres à vendre

Les législations sur l’aliénation des collections publiques décortiquées

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 17 février 2009 - 762 mots

En janvier 2008, le rapport de Jacques Rigaud réaffirmait les vertus du principe d’inaliénabilité des collections publiques, et mettait ainsi fin à un épisode ouvert en novembre 2006 par le rapport Jouyet-Lévy consacré à l’économie de l’immatériel (lire le JdA no 274, 1er février 2008). À la suite de ces débats, le service des études juridiques du Sénat a décidé de produire un rapport – très instructif – comparant les législations en vigueur dans six pays européens (Allemagne, Danemark, Espagne, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni) et aux États-Unis. La France, où le principe – qui existe depuis l’Ancien Régime – a été confirmé par la loi relative aux musées de France (2002), dispose des règles les plus strictes. Hormis l’Espagne et l’Italie, où le principe de l’inaliénabilité est inscrit dans les textes, les autres pays considèrent, avec plus ou moins de vigueur, que l’aliénation est un outil de gestion des collections. La pratique y est certes encadrée, mais certaines dérives révèlent les failles du dispositif.

Allemagne 
Il n’existe aucune contrainte juridique à l’aliénation. Les professionnels se réfèrent au Code de déontologie de l’Icom (Conseil international des musées) et à une position commune émanant de la Fédération des musées allemands (2004). Le rapport du Sénat français évoque deux affaires révélatrices des lacunes du dispositif. En 2006, le gouvernement du Land du Bade-Wurtemberg a tenté de vendre 3 500 manuscrits médiévaux de la bibliothèque d’un château pour le restaurer, alors que la commune de Krefeld (Rhénanie du Nord-Westphalie) a voulu céder un tableau de Monet pour rénover son musée.

Danemark
La loi interdit l’aliénation sauf cas exceptionnel. Les musées suivent alors les directives de l’Agence du patrimoine du ministère de la Culture. Les cessions ne peuvent avoir lieu qu’à titre gratuit, la vente n’étant autorisée qu’après l’achat d’un lot aux enchères dont certains objets n’intéresseraient pas le musée. Le déclassement est donc synonyme de destruction, de transfert ou de restitution à des ayants droit. Les musées sont par ailleurs incités à mener une politique d’acquisition rationnelle, les acquisitions devant résulter d’un plan précis pour éviter toute cession ultérieure.

Espagne
Le principe de l’inaliénabilité est inscrit dans la loi sur le patrimoine historique (1985) et confirmé par les lois régionales. Les propriétaires privés ont par ailleurs obligation de céder les biens considérés d’« intérêt culturel » à l’État ou à l’Église.

Italie
Les collections publiques appartenant à l’État ou aux collectivités sont protégées par les règles de la domanialité publique. Le principe a été confirmé en 2004 par le Code des biens culturels. En revanche, les collections appartenant à d’autres personnes publiques sont aliénables après autorisation du ministère des Biens et activités culturels.

Pays-Bas
Si elle n’est pas prévue par la loi sur la conservation du patrimoine culturel (1984), l’aliénation est restreinte par les procédures administratives. Un code « pour la cession des œuvres de musées », établi en 2000 par l’Institut pour la protection du patrimoine culturel (ICN) et révisé en 2006, incite toutefois à la réorganisation des collections et édicte les règles de bonne conduite. Les cessions sont très encadrées et la vente n’a lieu qu’en dernier recours, les transferts étant prioritaires. En 2007, l’ICN, qui possède plus de 100 000 œuvres, a donné l’exemple en organisant la cession de 1 350 œuvres en deux ventes – dont l’une a été effectuée sur eBay. En 2005, le musée municipal de La Haye avait déjà vendu 107 peintures.

Royaume-Uni
Les musées nationaux (à l’exception de la Wallace Collection et de la National Gallery) sont régis par différentes lois qui limitent les possibilités d’aliénation des collections (doublons, œuvres inappropriées ou endommagées) sans les interdire explicitement. Les autres musées publics n’ont aucune obligation. Ils respectent les directives de l’Association des musées, qui a publié un guide des cessions. La pratique privilégie la prudence, mais n’exclut pas certaines dérives, quelques collectivités ayant vendu des œuvres pour assainir leurs finances.

États-Unis
Entre musées fédéraux régis par différents textes et collections gérées par des trustees, il n’existe pas de règle unique. Mais l’aliénation est considérée comme un outil légitime pour la gestion des collections. Dans son rapport annuel 2007-2008, le Metropolitan Museum of Art, à New York, indique ainsi avoir cédé pour près de 3,5 millions de dollars (2,7 millions d’euros) d’œuvres. Les organisations professionnelles tentent toutefois de moraliser les pratiques : éviter les cessions pour résoudre les difficultés de trésorerie des établissements, veiller à ne pas aliéner des collections jugées démodées, imposer la transparence des cessions, les ventes de gré à gré étant fréquentes.

L’aliénation des collections publiques, série « Études de législation comparée », no LC 191, Sénat, 10 décembre 2008, 3,50 euros, ISBN 1263-1760.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°297 du 20 février 2009, avec le titre suivant : Œuvres à vendre

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