Un marché en lente transformation

Les associations d’artistes face aux galeries

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 13 février 1998 - 755 mots

Les scènes artistiques dans les Pays du Nord sont particulièrement originales. La Scandinavie n’a pas de tradition de collectionneurs privés et, à l’exemple de la Suède, les réseaux de galeries y sont peu développés. Souvent, comme au Danemark, les artistes ont pris eux-mêmes en main leur destin à travers de puissantes associations. Ils sont également soutenus par les États, notamment en Finlande. Mais les milieux évoluent, et Copenhague est devenue depuis le début des années quatre-vingt-dix un centre actif, même si la Norvège brille toujours par son absence de jeune scène artistique.

En Suède, le réseau des galeries est très peu développé. Pourtant, grâce à une longue tradition francophone, les artistes français ont été beaucoup montrés dès les années cinquante. Mais il a fallu attendre les années quatre-vingt pour que peintres et sculpteurs allemands ou russes y soient exposés régulièrement. Même s’il existe un système de soutien aux artistes, plutôt basé sur des critères sociaux, l’État suédois achète peu d’œuvres d’art. Le Moderna Museet à Stockholm, dont les nouveaux bâtiments ouvrent le 14 février, ne dispose que d’un budget annuel de 500 000 francs pour ses acquisitions. De plus, depuis le départ de Pontus Hulten dans les années soixante-dix, la collection ne s’est pas beaucoup développée. “Pour un musée qui a coûté 500 millions de francs, il faudrait au moins débloquer un crédit exceptionnel de vingt millions pour enrichir la collection”, estime le galeriste Claes Nordenhake.

Ce dernier dirige depuis vingt-cinq ans la galerie Nordenhake, l’une des pionnières dans la défense de l’art contemporain en Suède. Installé au départ dans le sud de la Suède, il s’est très tôt intéressé aux scènes allemande, suisse et française. Aujourd’hui, la galerie vend environ 75 %  à l’étranger, notamment à des musées ou à des collectionneurs importants sur la scène internationale, qui connaissent bien le marché et sont très informés.

Au Danemark, les associations d’artistes – elles datent souvent de la fin du XIXe siècle – jouent un rôle important dans la vie artistique du pays. Chaque année, ces différents groupes organisent une exposition qui leur permet à tous d’exposer mais réduit d’autant le dynamisme des protagonistes. Chaque décision dans le secteur, les orientations des fondations sont toujours soumises à leur appréciation. Les artistes contrôlent ainsi le marché, vendent en direct et font obstacle au développement des galeries. D’après certains créateurs, les galeries font grimper les prix de 50 %, mais sans véritable contrepartie. Les marchands n’offrent souvent rien de plus qu’un espace d’exposition et ne les aident pas à trouver des expositions dans des musées ou à ouvrir des portes. C’est pourtant la voie qu’a choisie, non sans succès, Nicolai Wallner quand il a décidé d’ouvrir sa galerie en 1993, la seule qui expose des jeunes artistes à Copenhague. Pour lui, “il était clair de toute de façon qu’ouvrir une galerie, cela voulait dire ne rien vendre au départ mais travailler sur le long terme”. Les collectionneurs danois sont en effet insuffisamment informés et n’ont pas une bonne connaissance de la scène internationale. Leur approche est davantage guidée par un désir de “décoration”. Près de 50 % des ventes de Nicolai Wallner se font à l’étranger. Cherchant avant tout une assise commerciale pour “ses” artistes, les foires d’art contemporain lui permettent de rencontrer des conservateurs de musées, d’autres galeristes, des critiques d’art et, bien sûr, des collectionneurs. La galerie a ainsi participé à Art Forum Berlin, à la Liste de Bâle et à la Gramercy Art Fair, à New York.

En Finlande, le milieu de l’art est très restreint, tout le monde se connaît, et  il suffit qu’un consensus se fasse sur un artiste pour que celui-ci ait du succès. De plus, il n’y a jamais eu de véritable concurrence entre les artites puisqu’un grand nombre bénéficie de subsides de l’État, accordés par une commission artistique. Actuellement, près de cinq cents créateurs perçoivent un revenu mensuel d’un peu plus de 6 000 marks finlandais (7 000 francs), alloué pour des périodes de un à cinq ans renouvelables. Certains estiment d’ailleurs que ce système est dangereux, mais la majorité en est fort satisfaite. Une brèche a cependant été ouverte en 1995 avec l’exposition “Ars ’95” à Helsinki, de nombreux marchands internationaux s’étant rendus pour la première fois en Finlande. Cette manifestation a conduit à un paradoxe. Aujourd’hui, des Finlandais comme Enko Männikkö exposent dans d’importantes galeries internationales mais n’ont pas de marchand dans leur pays. Le succès récent des artistes nordiques sur la scène internationale va très certainement faire évoluer les mentalités et bouleverser une forte tradition corporatiste.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°54 du 13 février 1998, avec le titre suivant : Un marché en lente transformation

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque