À l’ombre des Pyramides

Le Sphinx restauré à Gizeh, une tombe exhumée à Saqqarah

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 13 février 1998 - 948 mots

L’archéologie égyptienne est toujours riche de découvertes spectaculaires. La dernière en date est le fait d’une équipe de Polonais et d’Égyptiens qui a mis au jour à Saqqarah une tombe richement décorée de la VIe dynastie (2345-2181 av. J.-C.). À quelques kilomètres de là, le Sphinx de Gizeh, après sept ans de restauration, a retrouvé une nouvelle jeunesse.

LE CAIRE - À Saqqarah, une mission polono-égyptienne dirigée par le professeur Karol Mysliwiec, de l’Académie polonaise pour la recherche scientifique, vient de découvrir, à l’ouest de la pyramide à degrés du roi Djéser, la tombe de Méref-nebef, grand vizir du roi Pepi Ier, pharaon de la VIe dynastie. L’équipe, constituée d’archéologues, d’égyptologues et de géophysiciens, a commencé de fouiller dans cette zone en 1987. Karol Mysliwiec souhaitait montrer que le secteur s’étendant à l’ouest de la pyramide de Djéser faisait partie d’une nécropole unique, puisque l’Ouest a toujours été considéré comme le point de passage dans l’au-delà, donc le lieu de sépulture choisi pour tous les fonctionnaires importants. Les fouilles sont venues confirmer ses hypothèses en révélant que cette zone avait été utilisée comme nécropole, non seulement sous l’Ancien Empire mais aussi jusqu’à l’époque romaine et même byzantine. À l’automne 1996, l’exhumation d’une architrave datant de la VIe dynastie, avec un cartouche au nom de Méref-nebef, a préludé à la découverte de cette magnifique tombe. Zahi Hawass, directeur général du site des Pyramides de Gizeh, souligne le raffinement de la représentation des oies picorant des graines, dont on ne connaissait qu’un seul exemple, conservé au Musée égyptien. “Les parois de la chambre sépulcrale ont été recouvertes d’une couche d’enduit fin, précise-t-il, pour en faciliter la décoration picturale. Celle-ci révèle une grande attention pour les détails, délicatement rendus, et pour l’emploi de couleurs aussi belles que variées, dont on peut encore admirer la fraîcheur”.

Sur la façade monumentale de la tombe, formée d’une niche de d’environ six mètres de long et couronnée par une architrave de soixante centimètres de haut, sont gravés les divers titres de Méref-nebef (dont le nom signifie “Celui qui aime son maître”) : vizir, juge suprême, gardien des secrets du Roi et protecteur de la maison d’Anubis, le dieu associé à la momification et au culte des morts. Au milieu de la façade s’ouvre l’entrée, extrêmement étroite (60 cm). Sur les côtés sont représentés d’une part le vizir et sa femme, d’autre part le vizir et son fils Fefi. Le nom de la divinité qui devait être gravé, selon l’usage commun, au-dessus de ces portraits semble avoir été effacé et remplacé par celui de Taténen, l’antique divinité de “la profondeur de la terre”, aujourd’hui à peine visible. Ce “repentir” pourrait être l’indice de contestations religieuses et politiques intéressantes, à prendre également en considération pour interpréter les décors picturaux de la tombe. À l’intérieur sont représentées des scènes de la vie de cour : danses au son de la harpe, contrôle de la production agricole par Méref-nebef, cuisson du pain, scènes de chasse très vivantes.

L’attention du professeur Mys­liwiec et de son équipe s’est portée sur certains détails, comme la présence d’une “fausse porte” à l’état fragmentaire ; d’un énorme bloc de pierre calcaire placé près de la porte et dont la surface est en partie préparée pour recevoir un décor ; enfin, d’un espace rectangulaire creusé dans la roche, au-dessus de la porte, probablement pour recevoir une architrave, ce qui indiquerait l’état d’inachèvement de la tombe du vizir – à moins qu’il ne s’agisse d’une chapelle latérale ou d’une petite partie d’un ensemble beaucoup plus vaste. C’est ce que cherchera à découvrir cette année Karol Mysliwiec, qui reprendra en août les fouilles dans le secteur. On effectue, pour le moment, de délicates opérations de restauration des décors peints, dont certains sont dans un état de conservation précaire.

Le Sphinx rajeuni
Non loin de Saqqarah, sur le plateau de Gizeh, le Sphinx entame la 4 600e année de sa longue histoire, rajeuni par sept ans de restauration. En 1982, malgré de multiples consolidations, une partie de la patte postérieure gauche du Sphinx s’était désintégrée en une centaine de fragments. Puis, en 1988, un énorme bloc s’était détaché de l’épaule droite. Peu après, Chiakaosa Tanimoto, égyptologue japonais de l’université de Kyoto, avait alarmé la communauté scientifique en prédisant la désagrégation progressive du Sphinx et sa probable disparition d’ici 200 ans. Accablant les restaurateurs, il avait dénoncé l’usage du ciment au lieu d’une pierre calcaire identique à celle dont est fait le monument. Ces interventions malheureuses, alliées à la pollution et à l’érosion sous l’action du vent, avaient fini par ronger la pierre. Des études préliminaires ont donc été menées en 1989, avec le soutien du Getty Trust, avant d’entreprendre de nouveaux travaux. Grâce à un budget de 2 millions de dollars (12 millions de francs), le corps et les pattes du Sphinx ont reçu quelque cent mille pierres, la plupart de petite taille, toutes semblables au calcaire original. Pour le cou, on a appliqué deux couches, chacune épaisse de 8 cm, d’un mélange liquide reprenant la composition du calcaire. “Ce revêtement devrait tomber d’ici une dizaine d’années, reconnaît  Ahmed al-Haggar, directeur des Antiquités de la région des Pyramides, mais c’était la seule solution, car il s’agit d’une partie très délicate et très touchée par les erreurs de restauration antérieures ou l’érosion, surtout éolienne”. Le reste tiendra en principe beaucoup plus longtemps. Quant au visage, dont le nez avait été brisé par les canons mamelouks, il n’a pas été touché. Lors de ces interventions, l’analyse de la roche a permis de confirmer la datation autour de 2600 av. J.-C., sous le règne de Khephren, pharaon de la IVe dynastie (2620-2500 av. J.-C.) et bâtisseur de la deuxième pyramide de Gizeh.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°54 du 13 février 1998, avec le titre suivant : À l’ombre des Pyramides

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