Daniel Bosser, collectionneur

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 3 février 2009 - 1460 mots

Collectionneur d’art conceptuel, Daniel Bosser a refusé de se figer dans une génération. Portrait d’un défricheur discret.

Daniel Bosser est un collectionneur-défricheur que les grosses galeries internationales auraient pu bouder en période d’euphorie. Car le Français ne relève pas de ces acheteurs faciles prompts à dégainer leurs portefeuilles sur la foi d’un simple « jpeg ». De ces clients dispendieux et impromptus, qui ont quitté le champ au premier coup de froid. Prototype de l’amateur éclairé, mais lent et pointilleux au risque de l’agacement, Daniel Bosser doit pleinement assimiler une œuvre, la voir et la revoir avant de l’acheter. Ce discret est de ceux qui reprendront la parole grâce à la récession. « L’art d’affaires va disparaître au profit d’un art plus réfléchi, prédit l’intéressé. On fera davantage marcher les neurones que les paillettes. »
L’amateur d’art conceptuel n’est pas un fétichiste du certificat ni un héraut nostalgique d’une radicalité révolue. La fidélité qu’il témoigne à certains créateurs des années 1980 comme Philippe Cazal n’est pas une croix ou un sacerdoce. Refusant dogmes et chapelles, il cherche une filiation chez de plus jeunes artistes, tout en appréciant un Peter Saul. « Il n’est pas comme certains bloqués sur un type d’art, cherchant la seconde ou troisième génération de Max Bill. Il n’est pas en quête de clones », souligne un proche. Le plaisir qu’il éprouve semble tant physique, tactile qu’intellectuel. « Il fonctionne à l’affect, mais avec cohérence, est militant plus que prosélyte », souligne Jean-Michel Raingeard, président de la Fédération Française des Sociétés d’Amis de Musées. Il n’est pas plus dans une stratégie de reconnaissance personnelle, œuvrant plutôt à la valorisation des artistes. « Daniel n’est pas dans une logique d’accumulation mais de suivi, souligne le galeriste parisien  Andreas Lange. Lorsqu’une œuvre entre dans sa collection, c’est une valeur ajoutée pour une galerie, car il parle de l’artiste à tout le monde, amène des commissaires d’exposition à regarder un travail. »

Une vie âpre
Seconde génération d’immigrés italiens, « sachant ce qu’est la vie dure, l’humilité », Daniel Bosser a grandi dans l’univers des corons. Après s’être attaqué à des études de lettres modernes à Rouen, il s’installe à Paris vers 1976, vend des espaces publicitaires, intègre la FNAC avant de travailler dans les ressources humaines. Rue de Seine, il s’entiche d’abord de la Figuration narrative avant de découvrir tardivement l’art minimal, puis les artistes conceptuels des années 1980 comme IFP (Information, Fiction, Publicité) ou Philippe Thomas. Si le processus analytique l’intéresse, le principe de plaisir et Le Gai savoir guettent au détour de chaque phrase. On devine aussi dans son ensemble un goût pour le protocole de réactualisation. La réactivation est sans doute aussi ce qui le distingue des conceptuels purs et durs car il aime rendre tangible, matérielle la mécanique intellectuelle. En voulant être partie prenante de l’histoire ou de la vie d’une œuvre, il semble briguer un rôle de démiurge ou d’imprésario. Ainsi, aime-t-il la délégation de pouvoir qu’induisent les œuvres de Claude Rutault ou de Philippe Thomas. « Il ne s’agit pas de se substituer à un artiste mais d’être en partenariat avec lui  », précise Bosser. L’idée du temps vient enfin en leitmotiv entre un On Kawara et une œuvre de Saâdane Afif, dont le rythme sonne comme un métronome. Le collectionneur s’empresse de préciser : « je ne cherche pas à dompter ou récupérer le temps. » Il n’en convient pas moins que « la collection est le meilleur antidote contre l’angoisse de l’existence. »
Bien que Daniel Bosser se plie au jeu de la rétrospective, il garde sous silence un épisode pourtant clé de sa vie. Aussi, omet-il de mentionner son ancien compagnon, Michel Tournereau et l’association Art & Compagnie qu’il avait brièvement formée avec lui Quai Bourbon. D’après certains observateurs, cette ellipse relève à la fois de la pudeur et du besoin d’oublier la mort de son ami. Du couple formé par Michel Tournereau et Daniel Bosser, le premier était sans doute le plus volontariste. « Michel était le leader, le plus intellectuel, celui qui avait les meilleures idées. Daniel était plus traditionnel dans l’âme, mais c’était le bon vivant », souligne l’agent d’art Ghislain Mollet-Viéville. « Daniel avait une approche plus sensible, moins rigoureuse, Michel était un scientifique, un professeur de physique. L’un était plus couleur-plan, l’autre plus cérébral », rajoute Claude Rutault. Le duo invitait des artistes comme IFP à réaliser des choses pointues qui n’auraient pu se faire en galerie. « Le plus important à ce moment-là était de discuter du travail, de porter une œuvre, se remémore Claude Rutault. C’était un soutien tant moral que financier. Ils achetaient des choses, mais ce n’est pas ça qui était primordial. Ils ne se revendiquaient ni courtier ni agent d’art, mais s’investissaient auprès des artistes autant qu’ils le pouvaient, sans gros moyens. » Une démarche que Daniel Bosser a poursuivie en solo, sans faillir, en adaptant sa grille de lecture à une jeune génération incarnée par Leonor Antunes, Laurent Pariente, Vittorio Santoro ou Vincent Lamouroux. « En achetant en 2002 le Sol.01, une pièce pas facilement installable, loin d’être évidente, il m’a appris que mes envies pouvaient exister, indique Vincent Lamouroux. Il a toujours été présent pour des choses de cet ordre-là. Il a réussi à me faire penser que tout était possible, qu’on pouvait inventer son propre travail. » Et de rajouter : « Nous n’avons jamais été dans une situation de demande l’un envers l’autre. Le respect qu’on a l’un pour l’autre, c’est que finalement on ne se demande pas grand-chose. » Le « pas grand-chose » n’implique pas moins un dialogue évolutif, à bâtons rompus. Ainsi tous les deux ou trois mois, le collectionneur appelle les artistes qui l’intéressent pour discuter de leurs derniers travaux. « Je me rappelle une de nos premières rencontres, il m’a bombardé de questions au sujet de certaines œuvres qui avaient suscité son intérêt. Notre conversation a duré plus de six heures, rappelle Vittorio Santoro. Il voulait savoir comment ces œuvres étaient connectées à une vision plus large de l’art conceptuel. C’était une expérience épuisante d’essayer de verbaliser tout ça, car verbaliser n’est pas la priorité première d’un artiste. Le dialogue avec lui est enrichissant car dans ces moments-là, je me rends compte que l’appréciation de l’art et des idées n’est pas un luxe mais une nécessité. »
Moins fortuné que nombre de ses pairs, Daniel Bosser est rongé par la frustration de ne pouvoir acheter les pièces qui l’intéressent. Ainsi, rumine-t-il sur une liste d’une quinzaine d’artistes, comme Aurélien Froment, Timo Nasseri ou Gyan Panchal, qu’il souhaiterait faire entrer dans la collection. Depuis quinze ans, il s’est toutefois refusé à vendre des pièces pour en acquérir d’autres. Sans doute les chérit-il trop pour s’en délester. « Il a une proximité et une affection pour ses œuvres, presque un côté famille avec elles, insiste Thomas Bernard, de la galerie Cortex Athletico (Bordeaux). C’est un projet de vie et une histoire d’amour. » Réaménagé par Jakob & MacFarlane, son appartement est à sa mesure. « C’est à la fois un espace de scène et de vie, mais si on parle avec lui, Daniel dirait qu’il est contre l’idée d’espace d’exposition, souligne l’architecte Brendan MacFarlane. C’est un espace de maîtrise. Peut-être est-ce dans une galerie qu’on trouverait la même envie de contrôle, de contexte. » Bosser aime ainsi créer des résonances sans dissonance entre ses pièces. Une fine correspondance s’établit entre un caisson représentant le ciel d’IFP et la pièce Cinéma d’Evariste Richer. Le maître des lieux veille aussi à ce que les artistes donnent leur avis sur les installations et que les œuvres ne se parasitent pas entre elles.
La sphère privée et intime n’exclut pas un engagement dans un registre plus institutionnel, que ce soit au Centre national de l’estampe et de l’art imprimé (Cneai), dont il est le secrétaire général, ou à la vice-présidence des Amis du Palais de Tokyo. En septembre 2008, il a aussi participé à la création de la Bibliothèque associative internationale d’art moderne et contemporain de Rabat (Maroc). L’amateur envisage même des dépôts temporaires de trois ou quatre ans de ses œuvres dans des musées. En filigrane se dessine une réflexion sur l’avenir de sa collection. « Si je faisais un jour une donation, je ne serais pas pour un protocole. Imposer des clauses, des conditions d’accrochage, c’est vain. Si je devais vendre la collection, la question ne serait pas pourquoi le faire, mais quand le faire. C’est douloureux, et il faudrait que ce soit pour construire autre chose. »

Daniel Bosser en dates

1947 Naissance à Fouquières-lez-Lens (Pas-de-Calais)
2007 Secrétaire général du Centre national de l’estampe et de l’art imprimé (Cneai)
2008 Participe à la création de la Bibliothèque associative internationale d’art moderne et contemporain de Rabat (Maroc)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°296 du 6 février 2009, avec le titre suivant : Daniel Bosser, collectionneur

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