Paroles d'artistes : Stéphane Calais

« Le décoratif, les arabesques, le grotesque : des minimums culturels »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2009 - 731 mots

À l’Espace Claude Berri (lire p. 3), à Paris, Stéphane Calais déploie la multiplicité de ses approches dans un accrochage où se côtoient des sculptures en suspension – hybrides de macramés, ballons de sport ou plumes d’oiseaux –, une série de soixante portraits sérigraphiés réalisés à l’aide de huit figures historiques superposées (La Pléiade, 2008), et des végétaux tirant à l’abstraction (H, 2007, L’Herbier d’Étretat, 2007).

À travers trois séries d’œuvres (les objets en suspension, La Pléiade et les herbiers), apparaît ici récurrente la question de l’hybridation. Est-ce pour vous une préoccupation déterminante?
J’utilise souvent le terme de stratification. Ce qui m’interpelle, ce sont autant des références que des choses que l’on croise dans la vie, avec toujours une volonté de dégager quelque chose, un souci d’en profiter. Vous parlez d’hybridation et c’est très juste. Je parlais aussi de syncrétisme, ce qui revient quasiment au même car il est assez compliqué de nommer ces objets. Les sérigraphies des herbiers de la série H, ou La Pléiade avec les superpositions de visages, relèvent exactement du même questionnement. L’image interroge véritablement la reconnaissance, et poser cette question c’est poser celle de l’image même. Et, plus que l’idée de reconnaissance par le beau ou par le sujet, ce que l’on aborde véritablement c’est la fabrication, l’arrivée de l’œuvre au monde et la façon dont le déplacement même du travail, parce qu’il est multiple, pose lui aussi cette question-là ; et se recompose par des formes d’expositions, même si chaque objet a une autonomie claire et revendiquée.

À travers ces stratifications, s’agit-il de redéfinir ou de titiller la notion de goût et de ses codes ?
Il y a de cela en effet. Je crois que la très grande difficulté est d’effleurer le réel, étant donné sa multiplicité. À un moment, la seule façon que j’ai eue d’approcher des choses extrêmement délicates telles que la sensation même, ou un point de vue qui pouvait être politique parce que lié au goût, fut cette stratification, ce syncrétisme. Ensuite, la finalité de ce projet général qui parcourt mon travail – et qui en est peut-être la nature profonde dans sa qualité d’autonomie –, c’est cette idée politique autour de questions d’identité, de goût, de reconnaissance. Celles-ci fonctionnent automatiquement dans l’histoire du goût ou, de manière plus générale, comme facteur social de reconnaissance identitaire.

Est-ce en raison de cette autonomie que vous passez très librement d’un médium à un autre ?
Si l’on regarde par exemple un certain type de peinture historique, je suis dans l’impossibilité d’aborder ce registre car il faut avoir la croyance de le faire. L’un des derniers à l’avoir fait est [Gerhard] Richter, ou peut-être On Kawara, en sachant comment englober tout un ensemble de problématiques qui sont la manière, la politique, l’histoire de l’art, etc. Pour moi, ces très grands gestes héroïques ne sont plus faisables. La seule façon dont je peux toucher les différents niveaux de réel, c’est de changer à chaque fois d’endroit. C’est-à-dire que la légèreté du dessin fonctionne pour certaines choses, l’objet pour d’autres. Cela produit différents niveaux qui me permettent d’avoir un ensemble qui constitue une œuvre en développement constant. Et là où celle-ci fait le plus œuvre, c’est en faisant se croiser tant le réel que le présent, l’historique et la façon.

Beaucoup de choses posent ici la question du décoratif, y compris le titre de l’exposition, « Ornements, crimes et délices ». Comment vous situez-vous par rapport à cela ?
Il y a là l’idée très claire que le décoratif est une part intégrante des arts plastiques et visuels. Et comme je ne voulais pas que cette partie-là revienne de manière refoulée, je l’ai utilisée directement. Le décoratif, les arabesques, le grotesque, etc. – [présents] jusque dans les végétaux –, sont pour moi comme des « minimums culturels », entre guillemets car tout est culturel. Il s’agit véritablement de ne plus les utiliser à des fins commerciales comme dans les arts appliqués ou le design graphique, et de réinjecter directement la question de l’apparition. Je veux aussi poser la question intrinsèque de la légèreté et de l’apparition du motif, et pas seulement celle de son sérieux historique. C’est plutôt comme cela que le décoratif me fascine.

STÉPHANE CALAIS. ORNEMENTS, CRIMES ET DELICES, du 24 janvier au 28 mars, Espace Claude Berri, 4, passage Sainte-Avoye, 75003 Paris, tél. 01 44 54 88 50, tlj sauf dimanche et lundi 11h-13h, 14h-19h,www.espace-claudeberri.com 

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°295 du 23 janvier 2009, avec le titre suivant : Paroles d'artistes : Stéphane Calais

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