Collection

Faire son cinéma

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2009 - 703 mots

Le Plateau, à Paris, regroupe des récentes acquisitions du FRAC Île-de-France avec en ligne de mire la création cinématographique.

Mark Geffriaud'Polka Dot' (2008)

PARIS - Avec un titre, « Notorious », empruntant à une intrigue d’Alfred Hitchcock (Les Enchaînés), l’exposition que le Plateau, à Paris, consacre à des œuvres acquises au cours des deux dernières années par le FRAC (Fonds régional d’art contemporain) Île-de-France revient sur les rapprochements entre art contemporain et cinéma. Elle montre, en outre, que les choix du comité artistique se sont plus d’une fois portés sur des travaux de qualité.
Xavier Franceschi, directeur du FRAC, y a composé un accrochage où s’entremêlent sans s’embrouiller des questionnements ayant trait tant à l’écriture – coupe, montage, déroulé temporel… – qu’à l’entretien du suspense. À ce jeu-là s’imposent les pièces dont la proximité avec le regardeur tient dans la liberté de (re)lecture et de (re)composition d’un récit. La grande perdante étant Keren Cytter, dont le film en noir et blanc Nightmare (2007) tourne plus à l’ennui qu’au cauchemar. Au très pauvre scénario – un homme veut assassiner sa compagne – répond un montage confus qui provoque le hoquet, tandis que les allers-retours dans le temps comme entre conscient et inconscient n’apparaissent nullement maîtrisés. L’artiste, manifestement, confond complexité et désordre.
Dans cette sélection d’œuvres revient, de manière récurrente et pour le moins logique, l’idée fondamentale du montage. Captivant et intrigant, le film () (2003) de Morgan Fisher est construit tel un collage d’inserts – ces plans axés sur des détails qui facilitent la compréhension de la trame – empruntés à de nombreuses œuvres. Mis ainsi bout à bout, ils développent une narration qui n’en est pas une, portée par les seuls ressorts que le mode de lecture et l’imagination du spectateur voudront bien lui donner. De même, l’installation de Jimmy Robert, faite d’images délicatement collées, découpées ou pliées et d’un dessin au mur non moins ténu, convoque-t-elle une masse de réminiscences (Sans titre, 2006).

Spectateur sur le qui-vive
Les considérations temporelles ne sont pas en reste, qui ont à voir avec le déroulé et sa gestion par l’image. Dans L’Horloge (2005-2007), Étienne Chambaud en exploite la consistance en égrenant sur un petit écran 550 plans fixes donnant l’heure ; des extraits de films entrecoupés d’écrans bleus, manière de palier le fait que cette succession de clichés ne dure pas vingt-quatre heures, et que du temps reste à combler pour parvenir à l’exactitude du temps réel.
Interpelle en outre la veine « énigmatique » de l’accrochage, laquelle, plus qu’à l’usage de la fiction narrative, recourt à des procédés de construction ou à des déplacements d’objets.
Plus éloignées du thème cinématographique, deux sculptures, l’une du duo Dunne & Raby – un meuble conçu afin de pouvoir s’y cacher (Hide Away Furniture, 1998-2007) –, l’autre de Francesco Gennari – une forme oblongue en marbre noir dans laquelle est déposé un véritable jaune d’œuf et qui affirme dans son titre que « La Terre tourne le dos au Soleil » (2007) – se montrent suffisamment elliptiques dans leur discours pour accepter d’y souscrire.
Parmi ces œuvres qui, par leurs questionnements, maintiennent esprit et regard sur le qui-vive grâce à l’usage d’une tension savamment dosée, la proposition de Mark Geffriaud fait merveille. Avec une belle intelligence et une grande simplicité de moyens, son installation Polka Dot (2008) concentre presque toutes les problématiques déployées dans l’exposition, de la gestion du temps au montage, en passant par la structuration du récit ou le potentiel évocateur… Dans une salle obscure, des images fixées au mur sont furtivement « animées » par le déplacement linéaire d’un cercle de lumière – en fait, une diapositive de la première photographie du Soleil effectuée en 1845 – qui les rend lisibles l’espace d’un court instant. Engendrant attente et suspense, frustration aussi, le dispositif cache plus qu’il ne révèle, jouant habilement de la faille dans laquelle il contraint le regard à se perdre… et l’histoire à s’alimenter en permanence. Ou quand l’art permet à chacun de se faire son cinéma…

NOTORIOUS, jusqu’au 22 février, Le Plateau, place Hannah-Arendt, 75019 Paris, tél. 01 53 19 84 10, www.fracidf-leplateau.com, tlj sauf lundi-mardi 14h-19h, samedi-dimanche 12h-20h.

NOTORIUS
Commissaire : Xavier Franceschi, directeur du FRAC Île-de-France
Nombre d’artistes : 15
Nombre d’œuvres : 18

Légende photo : Mark Geffriaud - 'Polka Dot' (2008), installation, projection de diapositives sur support motorisé. Collection FRAC Île-de-France, Paris. Photo : © D. R.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°295 du 23 janvier 2009, avec le titre suivant : Faire son cinéma

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque