XXe siècle

Une histoire de flair

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 20 janvier 2009 - 685 mots

Le Musée Maillol présente une sélection des plus belles œuvres de la collection de Georges Costakis. Le meilleur de l’avant-garde russe.

PARIS - Avant de devenir une appellation pervertie par l’ostentation des oligarques modernes, le terme « grand collectionneur russe » rimait habituellement avec les noms de Sergueï Chtchoukine et Ivan Morozov. Célèbres victimes de la loi sur la nationalisation des œuvres d’art de 1918, ces deux collectionneurs avaient constitué de somptueux ensembles de tableaux impressionnistes, postimpressionnistes et fauves, qui forment depuis près d’un siècle l’épine dorsale des fonds d’art des XIXe et XXe siècles du Musée Pouchkine à Moscou et du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg. Georges Costakis (1913-1990) est moins connu. Ce fils d’immigrés grecs installés en Russie au début du XXe siècle n’avait ni les moyens financiers ni le statut social d’un Chtchoukine ou d’un Morozov. Armé cependant d’un formidable flair, il est parvenu à rassembler au cours des années 1950-1960 une étonnante collection riche de 1 300 œuvres de l’avant-garde russe, aujourd’hui répartie entre le Musée d’art moderne et contemporain de Thessalonique et la Galerie Tretyakov à Moscou. Le Musée Maillol, à Paris, en présente aujourd’hui une sélection.
La collection Costakis est à l’image de cette avant-garde qui a investi toutes les formes de la vie quotidienne : organique. Tous les médiums abordés par ces artistes touche-à-tout y sont représentés – huile sur toile, dessin, sculpture, céramique, affiche, projet d’architecture, de décor et de costume de théâtre. L’occasion pour le Musée Maillol de donner une vraie leçon d’histoire de l’art sur une période paresseusement résumée au Suprématisme de Malévitch et au constructivisme. Car cet ensemble doit son originalité à l’instinct de Costakis qui a agi seul, sans conseiller ni références encyclopédiques. Et pour cause. Cet amateur éclairé a eu le coup de cœur, dès les années 1940, pour une vague artistique totalement neutralisée par le réalisme socialiste. Ses acquisitions reflètent la subjectivité avec laquelle ce modeste chauffeur employé d’ambassade opérait ses choix, au rythme de ses rencontres. Si l’ensemble fait montre d’une grande diversité, il révèle la prédominance de certains artistes comme Ivan Klioune ou Lioubov Popova auprès de laquelle Costakis se fournissait directement. Ici les maîtres théoriciens (Malévitch, Rodchenko, Tatline…) côtoient les francs-tireurs au style individuel original et méconnu (Clément Redko, Xénia Ender, Salomon Nikritine…).

Vision post-marxiste
L’approche de l’exposition du Musée Maillol est axée sur une redécouverte plastique des œuvres que l’on peut désormais aborder avec une vision distanciée, « post-structuraliste et post-marxiste, décantée de tout lyrisme et de tout point de vue partisan », comme l’explique le commissaire Yves Kobry. Brièvement inspirés par l’école française – le Portrait (v. 1910) de Malévitch doit tout au Portrait de Mme    Matisse dit La Raie verte (1905) d’Henri Matisse –, les artistes russes se sont adonnés à des recherches que le commissaire affirme pouvoir identifier au sein même des mouvements « d’avant-garde » européens et américains des décennies suivantes. Ainsi du Bauhaus, du néoplasticisme néerlandais, du biomorphisme, de l’abstraction lyrique, de la Nouvelle Figuration, du minimalisme et même de l’expressionnisme abstrait – comment, en effet, ne pas être saisi par la ressemblance entre le Rythme expressif (1943-1944) d’Alexandre Rodtchenko et le Jackson Pollock de la fin des années 1940 ?
La visite de la Cuisine communautaire de l’artiste ukrainien Ilya Kabakov (né en 1933), qui fait partie de la collection permanente du musée, revêt dans ce cadre une dimension particulière. D’une tristesse oppressante, cette pièce illustre le confinement des familles russes, installées à plusieurs dans un même appartement sous l’ère communiste. Un sentiment de désespoir qui n’est pas sans évoquer la toile figurative de Nikritine L’Adieu aux morts (1926), sur laquelle s’achève le parcours de l’exposition.

L’AVANT-GARDE RUSSE DANS LA COLLECTION KOSTAKIS, jusqu’au 2 mars, Musée Maillol, 61, rue de Grenelle, 75007 Paris, tél. 01 42 22 59 58, www.musee-maillol.com, tlj sauf mardi et jours fériés 11h-18h. Catalogue, coéd. Musée Maillol/Gallimard, 224 p., 170 ill., 35 euros, ISBN 978-2-070123490

L’AVANT-GARDE RUSSE
Commissaires : Maria Tsantsanoglou, directrice du Musée national d’art contemporain, Thessalonique ; Yves Kobry, critique d’art
Nombre d’œuvres : 195 (huiles sur toile, œuvres sur papier, céramiques…) signées de 36 artistes

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°295 du 23 janvier 2009, avec le titre suivant : Une histoire de flair

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