Un Tiepolo revendiqué

Avec quatre autres MNR, il est réclamé au Louvre

Le Journal des Arts

Le 27 février 1998 - 633 mots

L’exposition l’an dernier des « Musées Nationaux Récupération » (MNR) n’aura pas été inutile, puisque cinq tableaux italiens du Musée du Louvre, dont un Tiepolo, ont fait l’objet d’une revendication en mai dernier. Les héritiers de Frédéric Gentili Di Giuseppe, mort à Paris en 1940, dont les biens avaient été illégalement dispersés en 1941, ont renouvelé une réclamation déjà formulée en 1950 par leur mère.

PARIS - À la suite de l’exposition en mai 1997 des œuvres classées MNR, la famille S..., héritière de Frédéric Gentili Di Giuseppe, mort à Paris en avril 1940 et dont les deux enfants avaient alors fui la capitale, réclame au Louvre la restitution de cinq MNR : Alexandre et Campaspe chez Apelle, par Giambattista Tiepolo, un temps en possession de Goering, une Visitation de Moretto Da Brescia, une Sainte Famille de Bernardo Strozzi, Joueurs de cartes devant une cheminée d’Alessandro Magnasco et un Portrait de femme de Rosalba Carriera. Les trois premiers, parce qu’ils étaient accrochés au Louvre, avaient déjà été revendiqués en 1950 par Adriana S…, fille de Frédéric Gentili, aujourd’hui décédée. Mais l’administration lui avait alors opposé un refus motivé par deux arguments discutables : d’une part, Mme S… n’avait pas fait, après la guerre, de déclaration de spoliation sur les biens de son père et, d’autre part, la vente au cours de laquelle les tableaux avaient été dispersés était parfaitement légale. Les cinq œuvres aujourd’hui au Louvre avaient en effet été vendues par un administrateur, avec 145 autres et du mobilier, entre mars et mai 1941, afin de recouvrer une dette de 90 000 francs. Pour l’avocate des héritiers, Me Corinne Hershkovitch, “cette vente, décidée par un administrateur provisoire à la succession, est contestable. La succession n’était pas vacante, c’est-à-dire que les héritiers étaient connus et n’avaient pas renoncé. Ils étaient simplement empêchés d’être là en raison de l’Occupation. En outre, l’administrateur a outrepassé ses droits en faisant vendre pour 4,5 millions de francs, alors que la dette n’était que de 90 000 francs et qu’il y avait assez de liquidités sur le compte courant (730 000 francs) de M. Gentili Di Giuseppe. Enfin, en vertu de l’ordonnance du 21 avril 1945 sur les restitutions, cette vente est spoliatrice”. De son côté, la Direction des musées de France (DMF), où douze dossiers MNR sont en cours, indique qu’elle “n’a pas d’objection de principe à restituer, dès lors qu’on aura établi la preuve du bon droit”. Il s’agit, selon la DMF, de “rassembler toutes les pièces pour retrouver l’enchaînement des faits, sachant que nous attendons encore des pièces provenant des archives de la Justice et de certaines archives privées”. Néan­moins, Me Hershkovitch constate qu’entre mai 1997 et début 1998, les recherches n’ont guère avancé : “Les politiques font des déclarations fracassantes et l’administration ne suit pas”. Elle a d’ores et déjà retrouvé, pour étayer le dossier, un catalogue et un bordereau de la vente, ainsi que l’inventaire notarié dressé chez Frédéric Gentili après son décès. Un autre tableau de Tiepolo, Renaud et Armide, vendu à la galerie Cailleux au cours de la même vacation, a été localisé à la Gemäldegalerie de Berlin. Cela ouvre la voie à de nouvelles réclamations et pose, d’une manière plus générale, la question du statut des biens spoliés, en possession de sous-acquéreurs de bonne foi.

Deux femmes nues du peintre Foujita, volé par les nazis en février 1942 et récupéré à la Libération, vient d’être rendu par Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, aux descendants de l’industriel juif, James Schwob d’Héricourt, décédé en 1939. Sa famille avait oublié l’existence de ce tableau et ne l’avait donc pas réclamé. L’inscri­ption “SdH ? au dos de la toile, découverte par les conservateurs du Centre Georges-Pompidou, a permis de remonter jusqu’à eux. Après un Gleizes, c’est le deuxième MNR rendu depuis l’an dernier.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : Un Tiepolo revendiqué

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