Dation contre fondation, suite…

La succession Giacometti au cœur d’un conflit d’intérêts

Le Journal des Arts

Le 27 février 1998 - 785 mots

Comment, dans ce qu’il convient d’appeler désormais l’affaire de la succession Giacometti, concilier au mieux le respect du vœu d’Annette Giacometti, veuve de l’artiste, et l’intérêt national en présence d’une œuvre aussi considérable ? Pour les responsables de l’association créée par Annette, la France doit accepter une Fondation Giacometti. Pour les Musées de France, on doit privilégier la solution de la dation, et donc de la succession. C’est aussi le point de vue du commissaire-priseur Jacques Tajan.

PARIS - Annette Giacometti voulait-elle, oui ou non, que l’en­semble des œuvres et documents qu’elle avait conservés restent réunis dans le cadre d’une fondation reconnue d’utilité publique et accessible à tous ? Cela semble ne faire aucun doute. Mais une telle fondation ne peut exister qu’en vertu d’un décret du ministère de l’Intérieur. Or, depuis une dizaine d’années, celui-ci semble incapable de se décider. Il est vrai que le cadre juridique des fondations, tout comme les interlocuteurs au ministère de la Culture, ont constamment changé (lire le JdA n° 53). Sans compter les désaccords profonds, et désormais publics, entre différents membres de l’association créée par Annette Giacometti et censée préfigurer ladite fondation. Le torchon brûle en effet entre Roland Dumas, ami et avocat de la famille de l’artiste et exécuteur testamentaire, d’une part, et Mary Lisa Palmer, Sabine Weiss et Jacques Dupin notamment, amis d’Annette, d’autre part.

La vente de 1994
Pour Jacques Tajan, qui avait été chargé par Roland Dumas de dresser l’inventaire de la succession, puis de vendre pour 42 millions de francs d’œuvres en 1994 de façon à régler les frais de notaire, d’inventaire, de garde et d’assurance d’un patrimoine évalué à quelque 800 millions de francs, “seul l’exécuteur testamentaire Roland Dumas a le droit de s’exprimer dans cette affaire. Madame Palmer et madame Weiss n’ont aucun droit dans la succession, et l’association n’a aucune légitimité à cet égard.”

Reconnaissant que la succession et l’inventaire ne sont toujours pas clôturés, le commissaire-priseur souligne que “Madame Palmer a été pendant vingt ans la secrétaire de la vieille ma­dame Giacometti, avant de devenir secrétaire de l’association. Elle a été mise à l’écart du droit moral, y compris par le juge d’appel”. D’une seule voix, Mary Lisa Palmer et la photographe Sabine Weiss, respectivement directrice et présidente de l’association – dont Roland Dumas serait toujours membre du conseil d’administration à ce jour, mais qui, selon elles, n’assiste plus aux assemblées depuis décembre 1994 –, considèrent que la vente de 1994 a été décidée par Roland Dumas contre leur gré, et reprochent à l’exécuteur testamentaire comme au commissaire-priseur leur refus de communiquer tout document relatif tant à l’inventaire qu’aux projets de fondation déposés au ministère de l’Intérieur depuis 1994. “Nous n’avons plus aucun contact avec Roland Dumas, sinon par l’intermédiaire de nos avocats”, explique Mary Lisa Palmer. Pour Sabine Weiss, “il ne fait aucun doute que Roland Dumas, quoique exécuteur testamentaire, soit hostile à la création de la fondation”. Ce dernier assure, en revanche, “l’avoir toujours souhaitée et avoir toujours œuvré dans ce sens” (Le Monde du 21 février).

Silence des ministres
Alors que Sabine Weiss s’inquiète de ce que la France “pourrait manquer une occasion historique de constituer une collection unique au monde comprenant plusieurs centaines d’œuvres – dont un bon nombre de pièces majeures – ainsi qu’une inestimable documentation”, Jacques Tajan entend écarter cette hypothèse dans laquelle “l’État français ne prend aucun droit de succession d’aucune sorte” pour favoriser celle, défendue par le Centre Pompidou et la Direction des Musées de France, qui consiste à ne pas autoriser la création de la Fondation de façon à ouvrir la succession au profit des héritiers – les deux frères de Mme Gia­cometti, Claude et Michel Arm, et les neveux de l’artiste –, à engager la dispersion de l’ensemble et à percevoir “des droits de succession qui sont de l’ordre de 40 à 45 %”.

“Tous ces gens-là, assure Jacques Tajan, sont disposés, s’ils héritent, à ne pas tout prendre et à donner à choisir à l’État français en priorité tout ce qui lui plaît dans la succession. Et cela deviendra la propriété de l’État français par dation. Les gens de Beaubourg sont déjà venus voir les objets dans les coffres ; ils savent déjà à peu près...”. Et d’ajouter que si l’on confiait à Mme Palmer le poste de conservateur de cette dation au sein du Musée national d’art moderne, “on garderait l‘esprit de la Fondation”.

Alors que le ton monte entre les protagonistes de la succession Giacometti, l’exécuteur testamentaire – Roland Dumas – ainsi que les ministres directement concernés – Catherine Trautmann et Jean-Pierre Chevènement – continuent à garder le silence. Pourtant, tous souhaitent qu’ils expriment promptement leur préférence, au titre de l’intérêt national, pour une dation ou une fondation.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°55 du 27 février 1998, avec le titre suivant : Dation contre fondation, suite…

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