Pour l’amour des Nabis

Rive gauche, côté musées la galerie Berès

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 13 mars 1998 - 1118 mots

Les amateurs de peintres Nabis connaissent les Musées d’Orsay et de Saint-Germain-en-Laye. Ils peuvent aussi se rendre au 25 quai Voltaire. Anisabelle Berès leur fera
découvrir dans sa galerie quelques-unes de ses plus belles œuvres. Petit voyage au milieu de Millet, Manet, Vuillard, Degas et Picasso.

Située à un jet de pierre du Louvre, de l’autre côté de la Seine et à quelque cent mètres du Musée d’Orsay, la Galerie Huguette Berès semble provoquer ses augustes voisins. Anisabelle Berès ne compte plus les œuvres convoitées par les conservateurs des lieux. C’est le cas du Portrait d’Auguste Félix Postel de Jean-François Millet, un pastel sur papier de 1845-1847 représentant un armateur havrais, qui ne laisse pas le Louvre indifférent. D’autres œuvres, comme La terrasse des Tuileries de Ker Xavier Roussel ou Intimité de Bonnard, ont déjà quitté la galerie pour les cimaises du Musée d’Orsay. “Nous passons notre temps à être sollicités par des musées, s’amuse Anisabelle Berès. C’est notamment le cas d’Orsay, qui demande par exemple que nous leur prêtions deux tableaux de Vuillard – La maison de Mallarmé à Valvins – pour une exposition consacrée au poète qu’ils préparent”.

Vuillard a peint la demeure du poète à différentes reprises, sous différents angles et à toutes les saisons. Dans cette toile, elle apparaît les volets clos, baignée par la lumière d’un soleil couchant qui éclaire les murs de rose. La maison semble dormir, perdue dans la campagne, indifférente au soleil pâle dans le bleu du ciel. C’est une des nombreuses œuvres accrochées au 25 quai Voltaire qui pourrait figurer sans déparer dans tout grand musée français. Musée. Le mot revient chaque fois dans la bouche des visiteurs qui poussent la porte de la galerie pour pénétrer dans le vestibule recouvert de boiseries, avant de s’aventurer dans les salles d’exposition.

Fondée en 1952 par Huguette Berès, la galerie, d’abord spécialisée en estampes japonaises, s’est ensuite consacrée aux Nabis qui ont contribué à forger sa réputation. “Notre intérêt pour les Nabis provient en partie de l’orientation choisie au départ, quand ma mère a commencé à rassembler des estampes japonaises, explique la responsable de la galerie. Les Nabis ayant été influencés par cette forme d’art oriental, il était logique que nous nous consacrions à eux, d’autant plus que cette orientation correspond réellement à une peinture que j’aime beaucoup. Nous nous attachons avant tout à la qualité fondamentale de l’œuvre. Des petits maîtres peuvent avoir réalisé de grands chefs-d’œuvre et de grands maîtres des tableaux très médiocres.”

Évoquant les œuvres dites majeures accrochées aux cimaises, Anisabelle Berès s’empresse de préciser que la valeur qu’elle leur attribue vient moins de leur notoriété ou de leur poids financier que de leur charge émotionnelle. “Je m’intéresse aux œuvres avant tout en raison de leur charme,  de leur singularité. C’est ce qui m’a portée à acquérir un petit tableau d’Odilon Redon, Nature morte au coquelicot, qui n’a pas une valeur financière considérable mais auquel je suis plus attachée qu’à un Picasso cubiste, dénué pour moi d’attache sentimentale.”

Manet ou Goya ?
Parmi les œuvres à découvrir, figure un Manet qui ressemble étonnamment à une œuvre de Goya. Il s’agit d’un tambourin – Espagnols – exécuté à l’encre de Chine et à la peinture dorée par Manet en 1879. Il représente, sur un parchemin tendu, une danseuse de flamenco tenant un éventail. Le cadre en bois du tambourin est lui aussi décoré de croquis à l’encre de Chine. Cet objet, qui provient de la collection Moreau-Nélaton, pourrait faire le bonheur d’un musée, à moins qu’il ne soit acheté par un très riche collectionneur. “Misia dans la forêt de Saint- Germain, peint par Édouard Vuillard en 1908, est un autre tableau exceptionnel à mes yeux. La jeune femme représentée est Misia Gobebska, la femme de Thadée Natanson. La jeune et belle pianiste a été la muse de plusieurs artistes et écrivains du Cercle de la Revue Blanche, dont Toulouse-Lautrec, Bonnard et Mallarmé. Le tableau a sans doute appartenu à la famille Bernheim.”

L’Autoportrait de Degas est également une œuvre unique. Sa valeur vient à la fois de la notoriété de son auteur et de sa spécificité d’autoportrait, un genre toujours très demandé. “L’intensité du regard, la précision du dessin, l’attention portée à la lumière font de ce tableau de jeunesse un chef-d’œuvre que le Musée du Louvre pourrait posséder tout à fait dignement. Il provient, comme presque tous les Degas qui sont vendus à Paris, de la vente Nepveu-Degas.”

Le Café, de Vuillard, a connu un parcours étonnant. Donné par le peintre à Maurice Denis, le tableau est toujours resté la propriété d’une seule et même famille – celle de Maurice Denis – jusqu’au jour où il a été acquis par la galerie. “Le Portrait de femme, une œuvre rarissime de la période bleue de Picasso, de loin la meilleure période de l’artiste, appartenait à une collection privée. Il a été exécuté lors d’un des fréquents séjours que Picasso a effectués à Barcelone, en 1898-1899, en compagnie de son ami Manuel Pallarès.”

Sur la plage, peint par Eva Gonzalès en 1875-1876, est un tout petit tableau très emblématique de la galerie. Il représente une jeune femme – probablement la mère d’Eva – assise sur la plage de Dieppe. Cette œuvre intimiste aux tonalités sourdes, bien qu’elle n’ait pas une grande valeur financière, revêt pour la galeriste une grande importance. Parmi les œuvres qui ont contribué à forger la notoriété de la galerie,  Anisabelle Berès a une affection toute particulière pour une série de petits panneaux de Seurat (Effet de neige, notamment), ainsi que pour un tableau de Vuillard intitulé Le banc. “C’était un chef-d’œuvre, un objet merveilleux et mystique. Nous avons dû le vendre parce qu’il est impossible de tout garder. J’en porterai le regret à vie.” D’une grande simplicité, il montre une vieille dame assise sur un banc à côté d’un petit garçon. La vieille dame est en noir, le petit garçon en blanc. Il ne se passe rien. Œuvre pleine de charme, empreinte d’humanité, évocation du temps qui passe, elle sortait de la collection Rouard quand elle a été acquise. La galerie a également possédé un grand Pissarro intitulé Les quatre saisons. “Il n’y a en revanche pas de Maurice Denis qui m’ait laissé de regret profond. Maurice Denis est un très grand peintre à une certaine époque, mais il ne m’offre pas cet enchantement que me procurent certains tableaux d’autres artistes. Je ne suis pas attachée à un peintre en particulier, mais plutôt à des tableaux dont la valeur provient de leur singularité. Dans toute œuvre, il y a des hauts et des bas.

Galerie Huguette Berès, 25 quai Voltaire, 75007 Paris, tél. 01 42 61 27 91, ouvert du lundi au samedi 10h-13h et 14h-19h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°56 du 13 mars 1998, avec le titre suivant : Pour l’amour des Nabis

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