De l’exil à la postérité

Bordeaux rend hommage à Goya

Le Journal des Arts

Le 13 mars 1998 - 708 mots

Un hommage, l’exposition de Bordeaux l’est à double titre. Pour commémorer le 170e anniversaire de la mort de Goya, le Musée des beaux-arts rassemble une quarantaine d’œuvres réalisées par le peintre aragonais durant son exil en France, où il décline des thèmes inquiétants et macabres, et s’essaye à la lithographie. Face à ces peintures, dessins et estampes de la maturité, près d’une centaine d’œuvres montrent en outre la postérité artistique des visions goyesques, depuis Les massacres de Scio de Delacroix jusqu’aux séries d’Antonio Saura, Sigmar Polke et Gunter Brus.

PARIS - En avril 1823, l’une des pages les plus noires de l’histoire espagnole s’achève dans le sang. Quinze ans après le soulèvement d’Aranjuez, l’abdication de Charles IV et les débuts de la terrible occupation française dont Goya se fit le témoin horrifié et implacable, Ferdinand VII rétablit le pouvoir absolu dans la répression. L’année suivante, à la faveur d’une amnistie, le peintre connu pour ses idées libérales sollicite l’autorisation de se rendre dans une station thermale en France. En fait, il gagne Bordeaux. Il y restera jusqu’à sa mort, en 1828.

Dans sa ville d’adoption, Goya retrouve des compatriotes exilés dont il peint les portraits : les banquiers Ferrer, son ami le poète et dramaturge Moratin, et un autre proche, Manuel Silvela. Au sein de cette production souvent austère, la douce et lumineuse Laitière de Bordeaux – qui annonce à la fois les recherches modernes sur les rapports personnage-fond et les essais impressionnistes – demeure une œuvre à part.

Mais surtout, Goya pratique intensément la lithographie, dont il a appris les rudiments à Paris durant l’été 1824. Sa série des Taureaux de Bordeaux exploite avec succès les possibilités de cette technique récente, jouant sur les contrastes entre les pleins et les vides, l’ombre et la lumière. Il poursuit d’ailleurs ces recherches dans ses dessins – qu’il associe au crayon lithographique – et quelques rares miniatures sur ivoire.

À travers toutes ces œuvres, l’Aragonais développe une réflexion tourmentée autour des thèmes de la folie, des scènes de châtiment, des moyens de locomotion bizarres et des foires. Comme dans les Caprices, publiés en 1799, il y insuffle un mélange de réalisme quotidien et d’imaginaire maîtrisé, de critique morale et sociale pénétrée d’humanité.

Rupture et liberté
Dès les années 1820, Goya suscite l’intérêt de Delacroix, qui découvre son œuvre par le biais de Ferdinand Guillemardet, ancien ambassadeur de France à Madrid. Avec lui, les Romantiques s’enthousiasment pour “le passage d’un art et d’une iconographie visant l’imitation empirique, à un art obéissant au primat de la vision et de l’imagination”, analyse l’historien de l’art Peter Rautmann.

Libérés, les artistes déclineront souvent l’œuvre de Goya. Certains, tels Redon, Ensor, Max Klinger ou Alfred Kubin, reprendront à leur compte les apparitions aux limites du monstrueux et de l’humain qui constituent le versant métaphysique de son art. D’autres souscriront au nouveau rôle du peintre assumé par Goya : témoigner face à l’horreur et à l’injustice. La référence, qu’elle soit implicite ou explicite, est bien là, dans les Massacres de Scio de Delacroix, la tuerie de la Rue Transnonain de Daumier, L’exé­cution de Maximilien ou La barricade de Manet, le Miserere de Rouault, et bien sûr le Guernica de Picasso. L’audace goyesque du laid et de la caricature aboutira, avec les véristes allemands, au “non-artistique” : les œuvres sur la guerre ou la barbarie nazie d’Otto Dix et de George Grosz refusent désormais tout esthétisme au profit de l’expression.

Les ruptures fondamentales que Goya introduit dans l’histoire de l’art ne pouvaient manquer d’intéresser les créateurs contemporains. Plusieurs ont travaillé, souvent de manière sérielle, sur l’œuvre de l’Espagnol : Antonio Saura identifie l’extraordinaire Chien des “peintures noires” à un autoportrait ; Robert Morris combine des images goyesques avec des scènes tirées de magazines. Sigmar Polke mène un travail photographique à partir des Vieilles ; Arnulf Rainer traque dans ses tableaux les thèmes de la souffrance, de la mort et de la souillure du corps, d’après les Caprices. Enfin, Gunter Brus a créé une œuvre spécialement pour l’exposition de Bordeaux.

HOMMAGE À GOYA, jusqu’au 6 mai, Galerie des beaux-arts, place du colonel Raynal, 33000 Bordeaux, tél. 05 56 10 17 18, tlj sauf mardi et jours fériés 10h-12h30 et 13h30-18h. Catalogue 250 F., 200 F. sur place pendant l’exposition.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°56 du 13 mars 1998, avec le titre suivant : De l’exil à la postérité

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