Lyon : un chantier qui s’achève en beauté

Le legs Delubac et une exposition Matisse accompagnent la réouverture complète du Musée des beaux-arts

Le Journal des Arts

Le 27 mars 1998 - 1087 mots

Avec la réouverture de son aile sud et de la chapelle Saint-Pierre, le Musée des beaux-arts de Lyon achève ce qui fut l’un des chantiers les plus importants en région. L’inauguration, le 3 avril, des nouveaux espaces de cette cinquième et dernière tranche de travaux se fera sur une note triomphale, avec le lancement de l’exposition Matisse et le dévoilement du prestigieux legs Jacqueline Delubac. D’autres surprises attendent les visiteurs. Des œuvres qui dormaient depuis presque cent ans dans les réserves gagneront enfin les cimaises, et la restauration de l’ancienne abbaye Saint-Pierre s’est accompagnée de découvertes intéressantes.

LYON - La scène prend place dans un ample paysage architectural, l’une des premières reconstitutions archéologiques de l’Égypte antique : Moïse, enfant trouvé, est présenté à Pharaon. La richesse du coloris, la clarté et la tension dramatique de la narration font de ce tableau, peint vers 1830 par Victor Orsel, un ultime témoignage de la peinture d’histoire néoclassique. “Nous l’avons découvert roulé dans les réserves, dont il n’était pas sorti depuis presque un siècle, explique Philippe Durey, conservateur en chef et initiateur du projet de réaménagement complet du Musée des beaux-arts de Lyon. La toile était crevée et elle a dû être restaurée à l’atelier national de Versailles, comme quelque 500 autres peintures du musée.”

Cette campagne de restauration, menée pendant le chantier du Palais Saint-Pierre, a permis à des pièces oubliées dans les réserves de rejoindre les salles. Le public connaît déjà le Véronèse et le Guido Reni que la première tranche de travaux, en 1992, avait révélés. Il pourra faire de nouvelles découvertes le 3 avril, avec l’inauguration finale de l’aile sud et de la chapelle.

Surprises et redécouvertes
C’est dans l’ancienne église abbatiale que Moïse présenté à Pharaon sera exposé, aux côtés d’autres grands formats, tel le projet de décor du Panthéon, commandé par la Seconde République à Paul Chenavard et remisé depuis 1901. La chapelle reprend également sa fonction de salle de la sculpture française entre 1789 et 1939. Le fonds Rodin y est enfin montré dans son intégralité, et le chœur accueille désormais le plâtre original du Monument aux morts d’Albert Bartholomé, dont la transcendance dépouillée de toute référence religieuse avait fait forte impression au Salon de 1895.
Les travaux ont également révélé les trésors de la chapelle. Un passage du XVIIe siècle, qui reliait la tribune des Bénédictines au premier étage du couvent, a été mis au jour, de même que le parement extérieur du mur nord de la nef, d’époque romane. À l’intérieur, les nervures de la voûte, réalisées au milieu du XVIIIe siècle, ont été restituées, et l’arc gothique de l’absidiole nord a été dégagé de son enduit de plâtre. Surtout, on a découvert, sous la tribune, une chapelle baptismale murée, ornée d’un bas-relief en stuc du tout début du XVIIIe siècle.

Dans le Palais Saint-Pierre, ancien Couvent royal des Dames, d’importantes restaurations ont porté sur la décoration baroque du réfectoire, exécutée par le peintre Pierre-Louis Crétey et le sculpteur Simon Guillaume, élève du Bernin à Rome. Des parties plus récentes ont également été nettoyées, comme le décor d’escalier de Puvis de Chavannes.

Le legs Delubac
Avec la fin des travaux dans l’aile sud, le projet global de Philippe Durey voit enfin le jour. Tandis que le premier étage offre un panorama continu des objets d’art, de l’Égypte pharaonique à Guimard, les 35 salles de peinture du second étage suivent un fil chronologique cohérent qui renforce l’aspect encyclopédique et pédagogique des collections, constituées dans cet esprit à la Révolution. L’École lyonnaise, qui occupait plusieurs salles à part, se voit intégrée au circuit général, à la suite du paysage de Corot à Sisley. Parmi les quelques nouvelles toiles exposées dans la première partie de l’aile sud, Philippe Durey n’hésite pas à qualifier de “chef-d’œuvre inconnu du XIXe siècle” la très lyrique Défaite des Cimbres de François Joseph Heim, qui s’ajoute aux Géricault, Gérard, Delacroix et Ingres des collections permanentes.

Mais c’est principalement à partir de l’Impressionnisme que le musée a enrichi son fonds, grâce aux dépôts du Centre Pompidou, et surtout au prestigieux legs Delubac. Un paysage de neige de Monet, deux portraits de Manet, une jeune fille par Renoir, deux pastels et un tableau de Degas, un Picasso de jeunesse, des Bonnard, Vuillard et Rouault achetés par le second mari de la comédienne viennent rejoindre les Manet, Renoir, Monet, Cézanne, Vuillard, Degas et Gauguin du musée.

Jacqueline Delubac était plutôt portée sur l’art moderne et contemporain. Deux salles accueillent ses acquisitions personnelles : deux superbes Picasso – dont la Femme assise sur la plage –, un Braque, un Léger, un rare pastel de Miró, des compositions de Poliakoff et Har­tung, des toiles de Fautrier, Brau­ner, Dubuffet, et une Étude pour corrida de Bacon. Seule fausse note quelques jours avant l’inauguration, la mise en cause de l’authenticité d’un Nu assis de Modigliani. Il va être expertisé au Laboratoire des Musées de France. Ajoutées aux Picasso, Marquet, Jawlensky, Mas­son ou De Staël du musée, les autres toiles du legs Delubac offrent un panorama du XXe siècle qui, à défaut d’être exhaustif, comprend quelques chefs-d’œuvre des plus grands artistes.

“L’humaniste de cette fin de siècle, qui veut rapidement parcourir l’histoire de l’art, trouvera son bonheur ici”, affirme Philippe Durey, pour qui le Mu­sée des beaux-arts de Lyon se met tout simplement au diapason des attentes du public. Pour achever de séduire le visiteur, une deuxième libraire, une cafétéria et un auditorium de 200 places ouvriront au premier étage.

Le chantier en chiffres

coût total : 400 millions de francs (contre 200 millions à Lille), financés par la Ville de Lyon et le ministère de la Culture. Campagne de restauration de 20 millions de francs, grâce au mécénat.
durée : cinq tranches de travaux réparties sur huit ans. Début du chantier en mars 1990, inauguration générale le 3 avril 1998.
muséographie et architecture intérieure : Jean-Michel Wilmotte et Philippe Dubois
rénovation extérieure : Jean-Gabriel Mortamet
surface totale du musée : 14 800 m2 (contre 10 000 m2 auparavant)
espace d’exposition pour les collections permanentes : 6 900 m2 (contre 4 330 m2 auparavant)
surface disponible pour les expositions temporaires : 1 100 m2 (contre 1 250 m2 auparavant)
espaces d’accueil pour le public : 2 760 m2 (contre 940 m2 auparavant). Création d’un hall d’accueil des groupes, d’une cafétéria, d’un auditorium de 200 places et d’une seconde librairie.
nombre d’œuvres exposées par département : environ 700 peintures ; 550 objets d’art (contre moins de 200 auparavant) ; 330 sculptures ; 3 000 médailles et monnaies ; 1 800 antiquités.

Musée des beaux-arts, 20 place des Terreaux, Lyon, tél. 04 72 10 17 40, tlj sauf lundi, mardi et jours fériés 10h30-18h. Entrée 25 F, tarif réduit 13 F, accès libre au Réfectoire. Bibliothèque et service de documentation ouverts au public du mercredi au vendredi, 14h-17h45.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°57 du 27 mars 1998, avec le titre suivant : Lyon : un chantier qui s’achève en beauté

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