Relire les Rois maudits

Au Grand Palais, l’art sous Philippe Le Bel et ses fils

Le Journal des Arts

Le 27 mars 1998 - 533 mots

Grâce à une belle scénographie et à l’obtention de pièces rares, le Grand Palais réhabilite une époque méconnue : le temps de Philippe Le Bel et ses fils. 350 œuvres créées entre 1285 et 1328 – de la statuaire religieuse à l’objet usuel – illustrent une période d’intenses bouleversements politiques et de secrète mutation artistique.

PARIS - Entre hommage et détournement malicieux, le Grand Palais présente sa rétrospective de l’art au temps de Philippe Le Bel et ses fils sous l’égide du fameux roman de Maurice Druon. Ce qui aurait pu n’être qu’une simple ma­nœuvre pour attirer un public blasé par l’abondance des chefs-d’œuvre gothiques en France se révèle une relecture en règle d’une période méjugée.

Le tournant du XIVe siècle a longtemps été ignoré : le temps des cathédrales et de la grande statuaire est passé, celui du mécénat de Charles V et des ducs de Bourgogne reste à venir. Les historiens de l’art ont souvent délaissé cette période confuse, marquée par de forts particularismes régionaux et des datations incertaines. D’autre part, la disparition des principales commandes royales – la collégiale Saint-Louis à Poissy ou la Grand-salle du Palais de la Cité – rend difficile tout panorama précis de la création sous le règne des derniers Capétiens.

Néanmoins, les chefs-d’œuvre rescapés témoignent d’innovations importantes que “L’art au temps des Rois maudits” met en lumière. La statuaire devient réellement autonome ; les figures, moins monumentales, atteignent un bel équilibre entre naturalisme et élégante idéalisation ; dans le domaine du vitrail et de l’enluminure, les subtilités chromatiques succèdent aux juxtapositions de tons saturés.

Érudition et séduction
Certaines considérations techniques ou stylistiques intéresseront particulièrement les spécialistes, tout comme la présence d’œuvres récemment découvertes ou jamais exposées, tels l’Ange d’Ascoli Piceno, le vitrail de l’Arbre de vie de Carcassonne et un Reliquaire en forme de papillon trouvé en 1989 dans la tête d’un Christ en bois. Mais la splendeur des pièces réunies, la clarté du parcours et l’efficacité de la scénographie théâtrale de Jean-Paul Boulanger sont à même de satisfaire tous les publics. Les salles, habillées de bleu et baignant dans la pénombre, donnent une impression d’unité aux objets présentés. La section principale consacrée à l’art de cour, aux centres régionaux et aux objets de la vie quotidienne, évoque une nef avec ses colonnes quadrilobées divisant intelligemment l’espace en bas-côtés et travées.

La plupart des chefs-d’œuvre se trouvent dans cette partie, notamment les statues simples et élégantes d’Isabelle de France, de Marie-Madeleine et de sainte Véronique qui se distinguent nettement du farouche saint Jean-Baptiste de Rouvres, sculpté en Bourgogne. Le Bréviaire de Philippe Le Bel par le maître Honoré, deux superbes valves de miroirs en ivoire, une série de reliquaires commandés par le couple royal et la Vierge à l’Enfant de Jeanne d’Évreux complètent admirablement cet ensemble, qui s’ouvre sur l’exceptionnelle Des­cente de croix du Louvre.

L’ART AU TEMPS DES ROIS MAUDITS. PHILIPPE LE BEL ET SES FILS, 1285-1328, jusqu’au 29 juin, Grand Palais, square Jean-Perrin, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, tlj sauf mardi et 1er mai 10h-20h, mercredi 10h-22h. Entrée 56 F, réservation obligatoire avant 13h au 01 49 87 54 54. Catalogue édité par la RMN, 466 p., 605 ill., 340 F.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°57 du 27 mars 1998, avec le titre suivant : Relire les Rois maudits

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