La fin de l’épopée du « Shâh-nâmè » ?

Appel à la reconstitution du manuscrit persan

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 27 mars 1998 - 633 mots

Le prince Sadruddin Aga Khan lance un appel international pour reconstituer le Shâh-nâmè, le plus beau manuscrit islamique préservé, dont les feuillets ont été dispersés dans le monde entier depuis les années soixante-dix. Le collectionneur souhaiterait que l’Iran, récemment acquéreur des pages de texte, achète les miniatures ou qu’à défaut, une exposition internationale soit consacrée au Livre des rois persan.

LONDRES (de notre correspondant) - Après le vernissage d’une exposition au British Museum consacrée à sa propre collection de peintures islamiques et indiennes, le prince Sadruddin Aga Khan a confié son désir de voir un musée rassembler tous les feuillets dispersés du manuscrit du Shâh-nâmè. “C’est à l’Iran qu’il revient de prendre cette initiative. Il faudrait pouvoir garantir que les pages seront réunies et conservées dans les meilleures conditions, et assurer l’accès du livre aux érudits.”

Réalisé entre 1520 et 1540, le Shâh-nâmè a été commencé en l’honneur de shah Tahmasp et raconte, à travers ses textes et ses 258 miniatures, l’histoire légendaire de la Perse. Ce livre est d’une valeur inestimable, comme le signalait Sotheby’s il y a deux ans lors de l’adjudication de quelques feuilles du manuscrit : “Si l’on voulait trouver l’équivalent italien de cette épopée nationale, il faudrait rassembler en un seul volume la Divine Comédie de Dante, ainsi que les chefs-d’œuvre de Léonard de Vinci, Raphaël, Botticelli, Giovanni Bellini et Michel-Ange.”

Le Shâh-nâmè a été présenté au sultan ottoman en 1568, puis est resté à Constantinople jusqu’au XIXe siècle. En 1903, le baron Edmond de Rothschild en fait l’acquisition à Paris. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, le manuscrit est confisqué par les nazis, mais la famille Rothschild parvient à le récupérer après la guerre. À la mort de Maurice de Rothschild, en 1959, Arthur Houghton Jr., miroitier à New York, achète le précieux livre. À en croire la rumeur, il lui aurait coûté 2 millions de dollars.

Dispersions et rachats
On pensait alors qu’Arthur Houghton Jr. ferait don du Shâh-nâmè à l’université de Harvard. Il a en fait dispersé les feuilles du manuscrit jusqu’à son décès, en 1990. En 1971, il propose 78 des plus belles miniatures au Metro­politan Museum, dont il préside le conseil d’administration. Cinq ans plus tard, il vend 7 enluminures à Christie’s, et l’année suivante, 41 autres sont envoyées à Agnew’s, à Londres. Enfin, un autre lot est dispersé chez Christie’s en 1988. Certaines collections publi­ques, dont le Los Angeles County Museum of Art, le Museum of Fine Arts de Richmond en Virginie, la Collection David à Copenhague et les Staat­liche Museen de Berlin, ont pu se porter acquéreurs. Le prince Sadruddin possède, quant à lui, six miniatures.

Le 28 juillet 1994, nouveau rebondissement : les Iraniens achètent aux héritiers d’Arthur Houghton Jr. ce qui reste du Shâh-nâmè. Ils échangent un de Kooning estimé plus de 15 millions de dollars (environ 90 millions de francs) contre les pages de texte, 118 miniatures et la reliure originale du manuscrit. Tout est conservé au Musée d’art moderne de Téhéran, ancien propriétaire du tableau. La consultation du livre est en principe interdite pour des raisons de conservation, mais les érudits peuvent cependant y avoir accès.

Au cours des dernières années, les prix des miniatures du Shâh-nâmè ont littéralement flambé. En avril 1996, Sotheby’s a vendu quatre feuilles appartenant au British Rail Pension Fund : le lot le plus cher a atteint 794 000 livres sterling (plus de 7 millions de francs), l’adjudication la plus élevée jamais portée sur une feuille de manuscrit, oriental ou européen. Le prince Sadruddin, conscient qu’il ne sera peut-être pas possible de réunir les différentes pages du Shâh-nâmè dans un musée, souhaite au moins que le manuscrit soit présenté dans son ensemble à l’occasion d’une exposition temporaire. Deux villes semblent tout indiquées pour accueillir une telle manifestation : Téhéran et New York.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°57 du 27 mars 1998, avec le titre suivant : La fin de l’épopée du « Shâh-nâmè » ?

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