PAROLES D’ARTISTE

Claudio Parmiggiani

« La tension est en lévitation »

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2009 - 656 mots

L’artiste italien Claudio Parmiggiani a répondu à l’invitation du Collège des Bernardins, à Paris, avec trois installations.

Avec trois installations spécifiquement pensées pour le lieu, l’artiste italien Claudio Parmiggiani (né en 1943) est intervenu dans les espaces du XIIIe siècle du Collège des Bernardins, à Paris.
Dans la nef, sur un mur long de 25 mètres, se déploie une « sculpture d’ombre », image négative d’une immense bibliothèque obtenue grâce à un processus de fumigation. Lui fait face un labyrinthe fait de lames de verre partiellement brisées, qui s’insèrent entre et autour des colonnes. Dans l’ancienne sacristie, des cloches devenues muettes semblent comme abandonnées.
Évoquant tout à la fois l’histoire, l’oubli et la mémoire, la charge des lieux, la destruction et la violence, cette exposition impose une complexe matière à réflexion.

En premier lieu, comment avez-vous réagi face à la charge architecturale et symbolique que représente un tel espace, et comment avez-vous, de prime abord, pensé pouvoir vous en emparer ?
J’ai travaillé en recherchant une solidarité avec le lieu et en écoutant la voix de ses pierres morales. Rien d’autre. C’était une grande émotion que de voir réémerger au cœur de Paris ce Radeau de la Méduse, ce vaisseau de l’espérance. Émotion due au degré d’extrême pureté et d’intense spiritualité qu’exprime le lieu. Un espace dont j’espérais qu’il resterait, pour cette raison supérieure, épargné de toutes ces interventions qui, faites par les architectes d’aujourd’hui au nom du modernisme, n’ont pour résultat que l’ostentation et la prévarication. Avoir l’humilité de reconnaître l’intangibilité de sa perfection, et soustraire sa propre main à la tentation d’une impossible et vaine comparaison : en cela aurait consisté la marque de la grandeur d’un architecte. J’ai donc travaillé avec et contre.

Comme très souvent dans votre œuvre, il y a ici des sensations de choses en suspension, d’états transitoires, d’éphémère. Pourquoi ces notions vous sont-elles si chères ?
C’est comme la différence entre la géométrie euclidienne et la géométrie mystique, entre un espace aseptique soi-disant « minimaliste » et un espace animé par une danse de derviches. Le premier est un lieu aride, sans vie, le second est un espace vivant, parcouru par la fièvre et le rêve, où la tension est encore en lévitation. C’est comme dans un tableau de Mantegna où le sentiment et l’émotion que l’artiste réussit à introduire dans l’espace sont la quintessence de l’œuvre.

Pourquoi cet attachement à une esthétique très marquée par l’immatériel ?
L’immatériel n’est rien d’autre que l’œil de l’esprit, l’œil métaphysique, le seul, l’unique territoire possible de l’art. Il faut faire un effort pour nous permettre d’avoir une perception différente, ultérieure de l’espace et du temps, puisque nous connaissons le temps moins que tout autre chose. L’immatériel est le matériau essentiel à la vie d’une œuvre. Immatériel signifie pensée et pensée signifie infini. La modernité – comme nous le rappelle Baudelaire – est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. La perspective de l’art n’est pas l’exaltation acritique du présent et du quotidien. Il y a quelque chose de très équivoque et de mensonger dans l’usage désinvolte que l’on fait de l’attribut « contemporain » dans l’espoir d’embrouiller, en identifiant ce « contemporain », c’est-à-dire l’improvisé, comme le véritable visage de l’art contemporain quand, au contraire, il ne s’agit que d’une triste prison. Car dans cette consécration de l’aujourd’hui en tant qu’absolu, dans cette vision sans mémoire du monde et des choses, il n’y a aucun horizon mais seulement un désert. L’effort continu pour un artiste est de tendre vers l’extérieur du temps, puisque l’art est résistance au temps, victoire sur le temps.

Ces trois œuvres traitent toutes, de différentes façons, de disparition et de destruction. Pourquoi ? Et pourquoi ici ?
Elles décrivent un paysage et parlent d’une condition

CLAUDIO PARMIGGIANI, jusqu’au 31 janvier, Collège des Bernardins, 20, rue de Poissy, 75005 Paris, tél. 01 53 10 74 44, www.college desbernardins.fr, tlj 10h-18h, dimanche 14h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : Claudio Parmiggiani

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