Littérature

La noblesse des Misérables

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 6 janvier 2009 - 704 mots

PARIS

La Maison de Victor Hugo et le Musée Carnavalet, à Paris, proposent deux expositions parallèles autour du chef-d’œuvre de Victor Hugo.

PARIS - Comment parler des Misérables en 2008 ? À force d’adaptations cinématographiques, théâtrales et télévisuelles, de versions raccourcies et expurgées, que reste-t-il du roman iconique de l’exilé de Guernesey ? Pour la Maison de Victor Hugo, à Paris, le projet d’une réflexion autour des Misérables était ambitieux, mais la tâche était lourde. Le musée de la place des Vosges s’est ainsi adjoint l’aide de son voisin le Musée Carnavalet, pour un pas de deux où chacun a gardé sa spécialité : gros plan sur le roman à l’hôtel Rohan-Guéménée, et exploration du Paris de Jean Valjean, Javert et Gavroche à Carnavalet, Musée de l’Histoire de Paris.

« Ce livre, c’est l’Histoire mêlée au drame, c’est le siècle ; c’est un vaste miroir reflétant le genre humain pris sur le fait à un jour donné de sa vie immense », disait Victor Hugo de son chef-d’œuvre. Rédigé de 1845 à 1848 dans son hôtel particulier de la place des Vosges, à Paris – l’actuel musée – et poursuivi pendant son exil à Guernesey, de 1860 à 1862, à Hauteville House, Les Misérables souffre du syndrome de la « littérature sans lecteur » décrit par Danielle Molinari, directrice de la Maison de Victor Hugo – un mal qui touche les œuvres si célèbres qu’elles deviennent méconnues. Si la présente exposition prend ses racines dans celle qui fut organisée en 1962, en ce même lieu, à l’occasion du centième anniversaire de la publication du roman, « Les Misérables un roman inconnu » prend le parti d’évoquer l’ouvrage au-delà de sa trame narrative, usée jusqu’à la corde. Le point de départ est donc le manuscrit du roman et le travail sur sa structure, sa langue. Les réflexions, tergiversations et corrections de l’auteur sont ici parfaitement mises en scène. Puis, dans un parcours richement pourvu – quoique parasité par les sources sonores multiples –, se dégagent quatre thèmes universels abordés à travers les personnages principaux : la rédemption (de Jean Valjean), la misère (de Fantine, poussée à la prostitution), l’amour (de Marius et Cosette), l’Histoire (Gavroche et le siège de Paris). Auprès des classiques œuvres et archives du XIXe siècle s’invitent, moins attendues, des œuvres en lien indirect avec le roman comme la glaçante Hanne (2003) de Berlinde de Bruyckere. Ce mannequin de cire grandeur nature, à la peau grise et nue et au visage caché par une lourde chevelure, évoque ces mêmes mèches dont Fantine a dû se séparer pour survivre.

On apprend par ailleurs qu’une grande partie de la critique littéraire, sans doute agacée par la campagne de marketing qui avait accompagné le lancement de l’ouvrage, a éreinté Hugo quand elle ne l’a pas méprisé. L’analyse du texte relève également les libertés prises par l’auteur, lequel insérait ça et là des éléments biographiques. Ainsi, le Paris de Hugo présentait-il les traits d’une physionomie modifiée pour les besoins de la narration, mais teintée par la nostalgie de l’exilé. Au Musée Carnavalet, Danielle Chadych et Charlotte Lacour-Veyranne se sont livrées à un travail colossal de repérages cartographiques des plus passionnants. Respectant la chronologie de l’action, le parcours suit les tribulations des personnages des Champs-Élysées, au jardin du Luxembourg ou encore dans le Marais. Au fil des gravures, lithographies et documents topographiques, se dévoile le Paris d’entre 1815 et 1833 plus vrai que nature. Cette immersion citadine donne l’avantage aux Parisiens ou plutôt aux fins connaisseurs de la capitale, car une grande partie du plaisir est de redécouvrir les quartiers avant leur haussmannisation et de reconnaître les coins de rues épargnés par le baron du Second Empire.

LES MISÉRABLES, UN ROMAN INCONNU ?, jusqu’au 1er février 2009, Maison de Victor Hugo, Hôtel de Rohan-Guéménée, 6, place des Vosges, 75004 Paris, tél. 01 42 72 10 16, www.musee-hugo.paris.fr, tlj sauf lundi et jours fériés 10h-18h. Catalogue, Paris Musées, 272 p., 160 ill., 39 euros, ISBN 978-2-7596-0054-0.

PARIS AU TEMPS DES MISÉRABLES, jusqu’au 1er février 2009, Musée Carnavalet, 23, rue de Sévigné, 75003 Paris, tél. 01 44 59 58 58, www.carnavalet.paris.fr, tlj sauf lundi et jours fériés 10h-18h. Catalogue, Paris Musées, 152 p., 120 ill. couleurs, 25 euros, ISBN 978-2-7596-0063-2.

LES MISÉRABLES
Commissariat : Danielle Molinari, conservatrice générale du patrimoine et directrice de la Maison de Victor Hugo ; Vincent Gille, chargé d’études documentaires à la Maison de Victor Hugo
Œuvres : près de 300 œuvres (peintures, dessins, photographies, manuscrits, sculptures, affiches…)
Scénographie : Alain Batifoulier, Simon de Tovar

PARIS
Commissariat : Danielle Chadych, chargée d’études documentaires ; Charlotte Lacour-Veyranne, chargée d’études documentaires
Œuvres : plus de 200 œuvres (tableaux, gravures, dessins, photographies, maquettes…)
Scénographie : Alain Batifoulier, Simon de Tovar
Cartographie : Marie-Sophie Putfin et Frédéric Miotto (légendes cartographie)

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°294 du 9 janvier 2009, avec le titre suivant : La noblesse des Misérables

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