Ventes aux enchères

Les trésors d’un orfèvre dispersés par Sotheby’s

Jaime Ortiz-Patiño met en vente sa collection comprenant d’exceptionnelles pièces de Paul de Lamerie

Par Elspeth Moncrieff · Le Journal des Arts

Le 10 avril 1998 - 792 mots

Cet héritier d’une dynastie de collectionneurs a souhaité se défaire de ses pièces d’argenterie créées par le célèbre orfèvre anglais Paul de Lamerie. Elles seront dispersées par Sotheby’s les 21 et 22 avril, à New York, neuf ans après la vente de sa collection de tableaux impressionnistes dont le produit avait atteint plus de 400 millions de francs.

LONDRES (de notre correspondante) - “Si je ne peux pas avoir mes objets autour de moi, alors ce n’est pas la peine que je les garde,” déclare Jaime Ortiz-Patiño pour expliquer sa volonté de disperser, les 21 et 22 avril à New York, sa magnifique collection, qui comprend des pièces d’argenterie de Paul de Lamerie, des livres rares, des manuscrits, de la porcelaine chinoise et du mobilier français, conservés dans sa propriété de Londres. “Je vis main­tenant en Espagne la majeure partie de l’année, et je ne peux pas faire entrer ces objets dans le pays. La fiscalité espagnole est très dissuasive. Si l’on conserve des objets dans le pays pendant plus de deux ans, on ne peut plus les exporter. Ils perdent alors toute valeur internationale, et je dois penser à l’héritage que je vais laisser à mes enfants. Par ailleurs, le climat est très humide, l’air est chargé de sel, ce qui est mauvais pour les livres et l’argenterie. Je suis extrêmement triste de devoir me séparer de cette collection, mais puisque je ne peux plus en profiter, j’aime autant que d’autres en bénéficient.”

Trente-trois lots d’argenterie
Jaime Ortiz-Patiño appartient à une dynastie de collectionneurs de renom. C’est son grand-père, le “roi de l’étain” bolivien Simon I. Patiño, qui a transmis à ses enfants sa passion pour l’art. Son père, Jorge Ortiz Linares, qui fut ambassadeur de Bolivie en France après la Seconde Guerre mondiale, a commencé une collection de livres rares et de manuscrits. Sa mère, Graziella Patiño, a rassemblé une somptueuse collection d’arts décoratifs français du XVIIIe siècle. Son frère, George Ortiz, est un collectionneur averti et passionné d’antiquités ; sa collection a d’ailleurs été exposée dans plusieurs musées européens.

Jaime Ortiz-Patiño a grandi en France, et c’est avec une sensibilité européenne qu’il appréhende les arts décoratifs : “Mes parents collectionnaient l’argenterie fran­çaise ; j’ai donc décidé de me lancer dans l’argenterie anglaise. De Lamerie m’intéressait parce que le style me rappelait celui de l’argenterie contemporaine française, sobre et pas trop chargé en décorations.”

Les 33 lots d’argenterie couvrent presque toute la carrière de Paul de Lamerie, qui a travaillé en indépendant de 1712 jusqu’à sa mort, en 1751. La vacation comporte notamment trente-six assiettes, six grandes salières et un ensemble de deux soupières dont les louches proviennent d’un service fabriqué pour le comte de Thanet, en 1743. L’estimation basse pour la vente des créations de cet orfèvre anglais d’exception est de 4,3 millions de dollars (26 millions de francs), les deux plus belles pièces étant l’encrier Walpole et la terrine Drury Lowe. L’encrier, estimé entre 700 000 et 1 million de dollars (4,8 à 7,2 millions de francs), avait été commandé par Sir Robert Walpole en 1745, et ses motifs gravés rappellent ceux du plateau Walpole conservé au Victoria & Albert Museum, qui aurait été décoré par Hogarth.

La terrine Drury Lowe, estimée entre 500 000 et 800 000 livres sterling (5 à 8 millions de francs), est inspirée d’un pot à l’oille français. N’ayant pu obtenir de licence d’exportation, elle sera mise en vente séparément, à Londres, le 4 juin. Cette fantaisie baroque comporte un couvercle ciselé et décoré d’une scène de chasse avec un sanglier, un mouton et des légumes. Les poignées sont en forme d’écrevisses, le bouton en forme de chou et les pieds représentent des dauphins. Personne ne sait, en revan­che, pour qui la pièce a été exécutée.

Des collections fugaces
Jaime Ortiz-Patiño est très prosaïque lorsqu’il évoque sa collection : “Mon intention n’a jamais été d’entasser des objets. J’achète ces choses magnifiques parce que c’est un réel plaisir pour moi de les utiliser.” Chez lui, les pièces d’argenterie étaient rangées dans un simple placard et sorties à l’occasion des dîners : les invités se retrouvaient assis autour d’une table entièrement dressée avec l’argenterie de Paul de Lamerie. Les collections de Jaime Ortiz-Patiño se font et se défont au gré des événements. En mai 1989, la vente de sa collection de tableaux impressionnistes a produit 67,8 millions de dollars (407 millions de francs) et, en 1992, d’autres pièces d’argenterie et de mobilier français de sa collection se sont vendues pour un total de 23,68 millions de dollars (142 millions de francs). Pour­quoi une telle attitude ? “Aucune collection n’est permanente, les objets vont et viennent, et lorsque je veux vraiment quel­que chose, je n’abandonne ja­mais”, explique Jaime Ortiz-Patiño, qui se passionne aujourd’hui pour le golf.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : Les trésors d’un orfèvre dispersés par Sotheby’s

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