Une réglementation clairsemée

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 10 avril 1998 - 892 mots

Il n’existe pas en France de réglementation spécifique ni de statut de l’expert. L’essentiel des textes existants concerne l’expertise judiciaire, les administrations financières (douanes, répression des fraudes) et culturelles (conservateurs du patrimoine). C’est pourquoi il n’y a pas de filière exclusive pour devenir expert.

Les experts judiciaires sont ceux inscrits sur des listes tenues par les cours d’appel et, pour les experts “nationaux”, sur la liste de la Cour de cassation. Les textes ne mentionnent pas de conditions de diplôme, de durée d’expérience… Cela ne signifie pas qu’il suffise de postuler pour être inscrit. L’administration judiciaire va se livrer à une enquête de moralité et de compétence à partir des éléments fournis par le candidat, et à diverses investigations qui vont du casier judiciaire à l’interrogation des professionnels et experts déjà inscrits, dans le cadre de “commissions mixtes” associant des experts en place et des magistrats. À l’issue de cette enquête, souvent après plusieurs candidatures, le postulant sera éventuellement admis sur les listes. Celles-ci sont remises annuellement à jour.
L’expert judiciaire doit rendre son rapport dans les délais impartis par le juge, et se cantonner strictement à la mission qui lui a été confiée. L’expert n’est pas le juge, il doit s’en souvenir, et le juge n’est pas lié par les conclusions de l’expert. L’indé­pendance nécessaire de l’expert lui interdit d’opérer dans des affaires où il pourrait être partie, directement ou par famille interposée.

Le contrôle de la valeur en douane
Les administrations financières peuvent également avoir recours à des experts. La seule procédure formalisée est celle des Douanes. Elles désignent des “assesseurs” près des “commissions de conciliation et d’expertise douanière” qui ont pour mission de régler les différends sur la qualification douanière des biens et le contrôle de la valeur en douane. L’application de la Conven­tion de Washington sur les espèces naturelles protégées peut aussi nécessiter une expertise, par exem­ple pour déterminer si un objet en ivoire a été réalisé avant ou après l’entrée en vigueur des textes.
L’administration de la Culture est également concernée. Sommai­rement, les conservateurs sont interdits d’expertise en dehors des collections publiques – ou des pièces dont l’acquisition est envisagée – ou, avec l’autorisation du ministre, en cas de requête d’un juge. Évidemment, cela écarte du marché une riche compétence. Mais celle-ci est partiellement réintroduite à travers les publications et les catalogues d’expositions publiques, qui peuvent reproduire et commenter des pièces de collections privées. En l’absence de statut, et les scientifiques des musées étant interdit d’expertise, on comprend qu’il n’y ait pas de formation ou de parcours imposé pour devenir expert. Toutefois on admet de plus en plus que l’indispensable pratique doit être précédée ou complétée de formations spécialisées associant l’histoire de l’art, la maîtrise des sources d’informations, la connaissance rapprochée des collections de référence et des mé­thodes d’analyse scien­tifique, enfin l’association de ces savoirs par une synthèse descriptive.

Une réforme envisagée
Dans le cadre de l’ouverture du marché de l’art imposée par l’Union européenne, le Conseil des ministres avait adopté, le 9 avril 1997, un projet de loi “portant réglementation des ventes aux enchères publiques de meubles”, présenté par le garde des Sceaux Jacques Toubon. Ce texte est aujourd’hui réétudié par le nouveau ministre de la Justice, Élisabeth Guigou. L’ancien projet comportait un volet “expertise”, proposant de créer une nouvelle catégorie d’experts spécialement habilités pour intervenir en ventes publiques. Ces experts pourraient seuls porter le titre d’expert dans les ventes aux enchères et bénéficieraient également d’une responsabilité limitée à dix ans. Il leur serait interdit de mettre des objets en vente dans les vacations qu’ils contrôlent. Ce projet est en fait la reprise de dispositions qui existaient antérieurement à 1985 et 1956 et prévoyaient l’établissement de listes d’experts agréés par les commissaires-priseurs. Cependant, sa portée serait limitée par l’absence de solidarité entre les experts et les commissaires-priseurs, ainsi que par la liberté laissée aux sociétés de vente de recourir ou non à ces experts. Le projet rédigé par la commission ne dit pas non plus quel sera le rôle exercé par le Conseil des ventes volontaires – garant moral de la profession – dans les procédures d’agrément et de contrôle, et ne détaille pas les critères de choix, ce qui rend malaisé l’appréciation du dispositif proposé. La mise en place d’une réglementation de l’expertise devrait prendre en compte les questions suivantes :
– le contrôle des compétences. Il peut supposer des préalables de formation et un suivi.
– le respect d’une déontologie harmonisée qui devrait, en particulier, prendre en compte la situation des experts marchands.
– le problème de la responsabilité et de sa couverture (délai, solidarité, assurance,...), en assurant un traitement équivalent des différentes formes de transaction (ventes publiques ou de gré à gré) et des conditions d’exercice (indépendant ou salarié).
– l’introduction éventuelle d’un titre “protégé”. Il devrait pouvoir apporter une meilleure information et une confiance accrue aux amateurs, à condition d’éviter les excès d’un monopole.
En pratique, il faudrait peut-être envisager dans un premier temps la constitution d’une commission nationale d’expertise associant des professionnels publics et privés, qui pourrait centraliser l’information sur les activités d’expertise et apporter des avis sur ces questions. Une telle structure pourrait par exemple s’inspirer du mode d’organisation de la commission mixte créée depuis 1993 pour examiner les demandes de certificat de libre-circulation et qui semble fonctionner efficacement. Elle pourrait être saisie par les organisations professionnelles ou les autorités judiciaires.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : Une réglementation clairsemée

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