Puzzle archéologique

L’Alexandrie des Ptolémées conserve encore de nombreux mystères

Le Journal des Arts

Le 10 avril 1998 - 847 mots

Si Alexandrie nous est connue par les descriptions qu’en ont faites des auteurs comme Strabon, aucun plan en revanche, n’est parvenu jusqu’à nous. Ils ont tous été dévorés par l’humidité de la mer. Jusqu’au XIXe siècle, la ville n’a pas passionné les archéologues. L’actuelle décennie a vu la connaissance de l’Alexandrie antique progresser peut-être autant qu’au cours du siècle écoulé.

ALEXANDRIE - Les archéologues de l’équipe de Jean-Yves Em­pe­reur, directeur du Centre d’Études Alexandrines (CEA), avaient fait un rêve : que Ptolémée accueille debout ses visiteurs au Petit Palais à Paris et au Cap d’Agde où il sera bientôt présenté (1). Mais la dernière campagne de fouilles n’a pas permis de localiser les jambes de ce Ptolémée monumental dont le torse, le bras et la tête ont déjà été sortis de la baie d’Alexandrie. Le bilan de cette campagne est toutefois jugé positif. La même grue qui avait recouvert au début des années 90 cette Pompéi sous-marine et ptolémaïque avec quelque 180 blocs de béton de 20 tonnes chacun est venue, à la demande des autorités égyptiennes, en retirer près de 45. Une aubaine et une victoire pour l’archéologie : sur plus de 300 m2, des centaines de blocs sculptés, provenant de constructions antiques et jamais encore examinés, ont été mis au jour. L’éventualité, bien improbable au sein de ce chaos d’architecture antique sous-marine, de mettre la main sur les jambes de ce Ptolémée en pharaon et en pagne royal coiffé de la double couronne d’Égypte, a suffi pour convaincre les Égyptiens de déplacer les blocs de béton.

Deux sphinx
“Au cours des mois à venir et grâce au mécénat fidèle d’Elf et d’EDF, nous allons engager l’inventaire et l’étude de ces vestiges parmi lesquels nous avons déjà distingué deux sphinx ainsi que des tambours de colonne de plus de deux mètres de diamètre qui ne sont pas sans évoquer la célèbre Colonne de Pompée”, explique Jean-Yves Empereur. Avant l’été, les archéologues-plongeurs armés de suceuses à eau dégageront les blocs de leur lit de sable ; les blocs, soulevés avec des ballons gonflés à l’air comprimé, seront dessinés, photographiés, répertoriés et cartographiés grâce au système de localisation par satellite GPS comme les 2500 blocs déjà étudiés depuis 1995, avant d’être déplacés afin d’accéder aux couches inférieures de vestiges jusqu’au rocher. Puis s’engagera un long dialogue entre architectes spécialistes de la modélisation virtuelle et archéologues. “Mais en archéologie, la réflexion a besoin de beaucoup de temps”, prévient Jean-Yves Empereur qui consent à avouer qu’effectivement, “on s’éloigne de plus en plus du modèle hellénique du phare tel qu’élaboré par l’Allemand Thiersch”. Ce que l’archéologue et son ami l’égyptologue Jean-Pierre Corteg­giani taisent encore, c’est leur espoir de découvrir des blocs portant la dédicace du phare à Ptolémée, qui permettrait d’attribuer définitivement certaines des découvertes à la Sep­tième Merveille du mon­de antique.

À son retour d’exposition en France, le colosse pourrait regagner le musée de plein air au théâtre antique, le fort de Qaitbay qu’on destinerait à devenir musée du Phare ou plus vraisemblablement, le jardin de l’ancien consulat américain où les pouvoirs locaux vont aménager un musée d’histoire de la ville.

Les mêmes mécènes suivront Jean-Yves Empereur un peu plus au large dans son exploration d’une zone vierge où reposent, par quarante mètres de fond, une quarantaine d’épaves, datant du IIIe siècle avant Jésus-Christ au VIIe siècle de notre ère. En mer toujours, dans la partie orientale de la baie, Franck Goddio, le chasseur d’épaves inventeur du San Diego, poursuit son repérage du site supposé des palais royaux.

Certes, le regain d’intérêt pour l’Alexandrie antique est largement dû aux découvertes sous-marines. Néanmoins, à terre aussi, les pièces du puzzle de l’ancienne cité se mettent lentement en place. Le chantier le plus prometteur et le plus urgent est celui de la nécropole : “Nous pouvons la fouiller jusqu’à début avril. Après nous n’aurons plus d’argent et le chantier du pont autoroutier peut reprendre à tout moment”, insiste Jean-Yves Em­pereur. En fait, à chaque coup de pioche ou à chaque avancée de bulldozer, c’est un peu du passé de la ville qui surgit. L’essentiel de l’activité du CEA consiste ainsi à opérer des fouilles d’urgence. Après le chantier de l’ancien cinéma Diana, qui n’a pu être fouillé qu’à moitié faute de moyens, “voici qu’on nous propose”, explique l’archéologue, “près d’un hectare où pourrait se trouver l’ancien gymnase de la ville qui comptait quatre portiques de 180 mètres de long chacun.”

L’opportunité de fouiller cette zone ne se représentera pas de sitôt, mais, les moyens financiers du CEA étant limités, il faudra opérer des choix. Il conviendra aussi de bien choisir où concentrer les moyens de fouilles quand le chantier du métro débutera afin de ne pas répéter les erreurs tragiques commises à Beyrouth ou sur le site de la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie, et en s’inspirant plutôt de l’exemple d’Athènes. Mais Athènes a la chance d’avoir de nombreuses missions archéologiques étrangères.

(1) L’exposition « la Gloire d’Alexandrie » sera présentée au Petit Palais à Paris de mai à juillet, puis dans une version réduite aux seuls objets égyptiens au Cap d’Agde d’août à novembre.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : Puzzle archéologique

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