« Trois Grâces » trop fragiles ?

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 10 avril 1998 - 452 mots

Unis contre le Getty pour acquérir Les Trois Grâces d’Antonio Canova, la National Gallery of Scotland et le Victoria & Albert Museum avaient convenu de présenter la sculpture à tour de rôle. Un dommage observé sur l’une des figures remet en cause tout déplacement de l’œuvre. Faudra-t-il alors la replacer à Woburn Abbey, la demeure des anciens propriétaires ?

LONDRES - En observant Les Trois Grâces de Canova, un conservateur de la National Gallery of Scotland a détecté une fêlure d’environ six centimètres sur l’épaule du personnage de gauche. C’était en novembre 1997, alors que l’œuvre se trouvait en prêt au Musée Thyssen de Madrid. La statue appartient à la fois au Victoria & Albert Museum (V&A) et aux National Galleries of Scotland (NGS), qui avaient décidé de se la partager et de l’exposer à tour de rôle pendant sept ans. Convoitée par le Getty Museum, elle avait été achetée 7,6 millions de livres sterling en 1994, grâce, entre autres donations, aux 800 000 livres apportées par le baron Thyssen. Le prêt de l’œuvre à Madrid constituait un geste de remerciement.

Il n’est pas prouvé que la fêlure a été provoquée par le transport ; elle a pu être ignorée au cours d’examens précédents. On peut aussi penser avec Timothy Clifford, directeur des NGS, que la statue a été convoyée dans des “conditions Rolls-Royce”. Mais pourquoi faire voyager Les Trois Grâces quand la salle que Wyatville a conçue spécialement pour elles, avec son sol en marqueterie de marbre, ses lourdes portes d’acajou et ses stucs dorés, existe toujours à Woburn Abbey ? Cet espace absidal est le couronnement de la galerie des sculptures, créée par le sixième duc de Bedford et Canova lui-même. Elle contenait un grand nombre d’œuvres qui se trouvent toujours à Woburn Abbey, mais dans d’autres parties de la maison. Il serait possible de reconstituer cette galerie, chef-d’œuvre du néo-classicisme. Malheureusement, le marquis et la marquise de Tavistock, les propriétaires de Woburn Abbey, s’y opposent, même dans l’hypothèse où les deux musées accepteraient de renoncer à leur trésor. À leurs yeux, les fonctionnaires et conservateurs de musées se sont comportés de manière paresseuse et administrative quand, en 1982, ils avaient proposé les Trois Grâces en dation à l’État britannique. À l’époque, le V&A, arguant de l’importance du contexte, avait conditionné l’acceptation de l’œuvre à son maintien in situ. Mais la question de l’accès à la galerie des sculptures, dont dépendait cette solution, n’avait pu être réglée. L’idée avait donc été abandonnée. Reste l’évidence : Les Trois Grâces doivent cesser de voyager. Point n’est besoin d’un jugement de Salomon pour trancher ce problème. La sculpture faisant partie intégrante de Woburn Abbey, il faudrait négocier son retour dans son lieu d’origine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°58 du 10 avril 1998, avec le titre suivant : « Trois Grâces » trop fragiles ?

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