L’actualité vue par Tran Anh Hung

Le Journal des Arts

Le 24 avril 1998 - 901 mots

Né au Viêt-nam en 1962, Tran Anh Hung est arrivé en France en 1975, après un séjour au Laos. Il a été remarqué pour son premier film, L’odeur de la papaye verte, en 1993, puis par Cyclo. Il présidera le jury de la Caméra d’or au Festival de Cannes, du 12 au 25 mai, avant de se rendre à Hanoi pour réaliser son troisième film, À la verticale de l’été. Il commente l’actualité.

Que pensez-vous des expositions organisées par la Ville de Paris sous le titre de “Printemps vietnamien” ?
J’ai beaucoup aimé l’exposition du photographe Jean-Baptiste Huynh. J’étais récemment au Viêt-nam, où quelqu’un m’a montré son livre Intime Infini, et quand j’ai découvert ces visages, j’ai trouvé une cohérence parfaite avec le pays. Il y avait dans ces portraits un côté très doux, très fondu, serein. J’apprécie aussi Tran Trong Vu ; il a fait des installations magnifiques sur la légende du marché en enfer, dans une galerie rue Greneta. Alors que cela aurait pu être sinistre, il y a une grande élégance, une douceur qui est propre à cet artiste. En revanche, j’ai été un peu déçu par l’exposition au Pavillon des arts. Je m’interroge encore sur cette déception : les œuvres ont peut-être été mal choisies là-bas, où j’en ai vu de bien plus belles. Peut-être aussi que, sorties du contexte vietnamien, de la lumière de Hanoi, elles ne tiennent pas le coup. J’ai davantage d’exaltation à les voir au Viêt-nam, dans l’exiguïté de pièces sombres, qu’ici en pleine lumière.

Comment s’est développé l’art moderne dans le contexte totalitaire du Viêt-nam ?
Il y a une réelle liberté laissée aux artistes ; on simplifie un peu trop en disant que c’est un pays totalitaire. Les peintres ont toujours peint ce qu’ils avaient envie de peindre. Mais quand ils veulent exposer, ils doivent demander l’autorisation, et quelquefois ils ne l’obtiennent pas. Néanmoins, on peut toujours aller chez un peintre voir ce qu’il fait. Quand je vais au Viêt-nam pour réaliser un film, c’est pareil. Il y a un certain nombre d’étapes obligatoires : le scénario, par exemple, est soumis à la censure.

Quels sont les circuits de diffusion de la peinture et de la sculpture ?
Il y a beaucoup de galeries. C’est un milieu très vivant qui s’est développé récemment. La peinture se vend très bien et cher, même à l’étranger. Il y a de jeunes artistes dont je ne peux pas acheter les œuvres, parce que trop chères. Mais la qualité le justifie. Il y a beaucoup de peintres à Hanoi, et toutes les influences sont là. Mais en voyant ce qui a été réuni au Pavillon des arts, un peintre vietnamien de passage à Paris m’a dit : “C’est un peu l’école française, c’est un peu Indochine.” À part la peinture et la littérature, il n’y a pas grand chose au Viêt-nam.

Sentez-vous un début d’intérêt en France pour l’art contemporain d’Asie, d’Afrique et d’Océanie, à travers, par exemple, le thème de la prochaine Biennale de Lyon, “L’égalité des cultures” ?
Ces manifestations sont une sorte de ghetto : on prépare un espace spécial pour ces gens-là. Ce qui serait normal, c’est qu’un galeriste montre les œuvres d’un seul artiste vietnamien et les vende. Je préfère apprendre qu’une exposition personnelle a lieu à New York ou Sydney. Il y a encore un relent d’aide humanitaire dans des événements comme le “Printemps vietnamien”.
La peinture est ce qu’il y a de plus important pour moi. J’apprends plus pour mon métier en regardant la peinture qu’en allant voir des films. Mes amis sont pour la plupart des peintres. Quand je vois un tableau de De Kooning, que j’observe son coup de pinceau gigantesque, j’y vois l’énergie, mais aussi quelque chose de plus subtil : ces croisements de couleur produisent sur moi certaines sensations, certains sentiments que je cherche souvent à reproduire au cinéma.

Les cinéastes français ont été à la pointe de la lutte en faveur des sans-papiers. Vous sentez-vous concerné par ce mouvement ?
J’y ai été associé : je devais parrainer quelqu’un à la mairie de Saint-Denis le 11 avril, mais on ne m’a pas attribué de filleul en raison d’un problème d’organisation. Ce sera donc pour une prochaine fois. Mais c’est une bonne chose, même si je ne me suis pas investi à 100 % dans cette action.

À propos de l’affaire des faux Man Ray, comment comprenez-vous la notion de faux en photographie ? Est-ce une notion pertinente ?
Dans ce cas, la notion de faux s’applique davantage à la signature, derrière laquelle il y a une intention malhonnête. Je ne sais pas comment définir la valeur d’une photo, c’est une notion de marchand. Pour préserver un marché, on donne plus de valeur à une épreuve tirée du vivant de l’artiste et signée. Je ne vois pas de problème de faux en photo. Plus que la peinture, c’est un art lié à la reproduction mécanique. C’est uniquement un problème de commercialisation.

Quelle réflexion vous inspire le succès de Titanic ?
Ah ! Titanic, la “merde flottante” ! C’est épouvantable, mais ça profite à toute l’industrie cinématographique. Cette histoire d’amour est simpliste, comme ce discours social avec les bons d’un côté et les méchants de l’autre. J’avais l’impression de voir une histoire entre deux personnages insipides, en bonne santé, qui courent sur un navire. J’ai vu le film à côté d’adolescentes en larmes tout au long de la séance.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°59 du 24 avril 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Tran Anh Hung

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