Art et communication

Mélange de genres

Le Journal des Arts

Le 24 avril 1998 - 628 mots

La publicité dispose de sources d’expression diverses pour divulguer un message. Annonces presse, affichage, spots de télévision ou opérations de prestige inhérentes à l’image de marque d’un produit ou d’une entreprise, tous les moyens sont bons pour se faire connaître et reconnaître. Démonstration.

Et l’éternelle question est remise sur le tapis. Est-ce ou n’est-ce pas de l’art ? Si l’on admet que le cinéma est le 7e, que la photographie en est un également, pourquoi pas la bande dessinée ? C’est alors que Ted Benoît entre en piste. Ce dessinateur, collaborateur, entre autres, à L’Écho des Savanes, Libération, Métal Hur­lant, fut l’illustrateur de plusieurs albums, dont les dernières aventures de Black et Mortimer, L’Affaire Francis Blake, vendues à 700 000 exemplaires. Et c’est l’esprit même de Black et Mortimer qui a donné à l’agence Publicis Étoile l’idée de lui faire signer pour son annonceur, le whiskey irlandais Jameson, sa première campagne. Pour le numéro un mondial, il fallait une campagne originale qui se démarque tant dans l’univers des spiritueux que dans celui de la publicité. Le traité de la bande dessinée est différenciateur, et le choix de Ted Benoît en cohésion avec la cible des buveurs de whiskey. Deux annonces quelque peu énigmatiques mettent en scène “Jameson l’Irlandais”, d’où l’évidence de la signature. Le premier visuel situe l’action dans Bow Street à Dublin, là où se trouve la distillerie, le second dans un pub proche. Les deux dans l’ambiance sombre et pluvieuse de la ville. Leur point commun : au coin de la rue, un mur peint sur lequel figure Jameson Irish Whiskey. Placé au cœur de l’histoire, le whiskey en devient ainsi le héros, complice de la vie irlandaise. Des bribes de conversations s’échappent des “bulles” et permettent de découvrir, avec humour, la particularité du produit.

Dans ce même domaine des spiritueux mais dans un registre totalement différent, Mouton Rothschild a également une façon bien spécifique de s’exprimer. En 1924, pour célébrer sa première “mise en bouteilles au château”, Philippe de Rothschild avait demandé à l’affichiste Jean Carlu de réaliser l’étiquette de Mouton  – initiative sans lendemain, sans doute parce que trop précoce. En 1945, il récidive et décide de couronner l’étiquette du “V” de la victoire. À partir de 1946, chaque année, un artiste contemporain, à l’origine choisi parmi les amis personnels du baron, crée une œuvre originale pour l’éti­quette : Jean Hugo, Léonor Fini, Jean Cocteau... En 1955, c’est Georges Braque qui accepte d’illustrer le millésime. Suit alors une longue liste : Dali, Miró, Chagall, Picasso, Warhol, Soulages, Del­vaux, Haring, Base­litz, Bacon, Balthus...

Exposition à Bordeaux
Une collection unique est ainsi constituée, enrichie au fil des années. En 1981, la baronne Philippine de Roth­schild la révèle au public et présente la première exposition “Mouton Rothschild - L’Art et l’Étiquette”, qui sera accueillie par de nombreux musées, tant en Europe qu’aux États-Unis, au Canada ou au Japon. L’étiquette du Mouton Rothschild 1995, dernier millésime mis en bouteilles, est illustrée par Antoni Tàpies, peintre et sculpteur catalan. Son dessin – deux cœurs, un nez, une bouche et une oreille, légendé dans sa langue natale – fait désormais partie de l’exposition, qui est présenté pour la première fois en France, au CapcMusée d’art contemporain de Bordeaux.

Deux communications aux antipodes, mais chacune très typée et parfaitement adaptée au produit et à son image, qui devraient correctement toucher leur cœur de cible, pas forcément très éloigné l’un de l’autre d’ailleurs. Ce qui prouverait que l’on peut communiquer différemment pour atteindre in fine la même catégorie de population. Deux façons de voir les choses, mais une seule façon de boire : “avec modération”.

Agence : Publicis Étoile / Directeur de création : Gilles Belleuf / Directeur artistique : Jean-Christophe Esclafit / Rédacteur : Jean-Louis Zuber / Dessinateur : Ted Benoît

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°59 du 24 avril 1998, avec le titre suivant : Mélange de genres

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