Un sculpteur perturbateur

L’art de Max Ernst, une certaine manière d’habiter le monde.

Le Journal des Arts

Le 9 mai 1998 - 592 mots

Reliefs, assemblages, collages, décors, bas-reliefs, installations… Cent dix “sculptures”? de Max Ernst associées à une quinzaine de peintures, de 1913 à 1974, sont réunies au Musée national d’art moderne/Centre de création industrielle afin de montrer comment l’artiste envisageait la sculpture, ainsi que les liens unissant ses différents périodes aux lieux où il a habité.

PARIS. Fondateur du mouvement Dada de Cologne, puis pionnier du mouvement surréaliste, Max Ernst appartient à cette génération de perturbateurs qui ont exploré tous les moyens d’expression plastiques et poétiques propres à initier le dérèglement d’une civilisation jugée meurtrière et sclérosée. L’entreprise de réenchantement du réel atteint toutefois chez Ernst une ampleur particulière. Comme Man Ray, il ne pose aucune limite aux modalités d’échange entre l’imagination et cette source inépuisable d’images et d’objets qu’est le monde. Cet état d’esprit lui octroie d’emblée, vis-à-vis des genres artistiques, une liberté d’invention qui ne s’applique pas seulement à la technique du “collage”, dont il est un des grands promoteurs : l’art de Max Ernst consiste à “décoller” des fragments de réalité pour les transformer et les restituer sous un jour inédit. Dans son texte, Au-delà de la peinture (1936), il est d’ailleurs à peine question de peinture. Et lorsqu’il y évoque ce jour de 1925 où il découvrit les images révélées par le simple frottage d’un crayon sur du papier posé à même les rainures d’un plancher, c’est pour mieux opposer ce procédé à “son refus de toute pratique directe de la peinture et du dessin”, commente Werner Spies, directeur du Mnam/Cci. La sculpture n’est pas appréhendée autrement. Dans un texte antérieur, il place l’émergence de la sculpture surréaliste sur le même plan que les créations d’“objets à fonctionnement symbolique” et les “recher­ches collectives en vue d’un embellissement irrationnel de Paris” qui avaient donné lieu, parmi les surréalistes, à quelques jolies vues de l’esprit, tels ces “animaux dans des ruisseaux” ou ces “conciles de graves personnages cravatés de noir dans les rivières” imaginés par Paul Eluard (Qu’est-ce que le surréalisme, 1934). Il n’y mentionne même pas, aux côtés de ceux de Giacometti et de Arp, ses propres travaux alors en cours, comme s’ils ne pouvaient avoir aucune incidence significative ni sur son art, ni a fortiori sur la sculpture surréaliste.

Une œuvre-paysage
Ce glissement de la sculpture à l’objet, de l’objet au paysage “irrationnel”, renvoie finalement à l’œuvre personnelle de Max Ernst : une œuvre-paysage, une œuvre-monde, inscrite dans une dynamique de la métamorphose: “Des fleurs de coquillages, de plumes, de cristaux, de méduses et de roseaux. Tous les amis se métamorphosent en fleurs. Toutes les fleurs se métamorphosent en oiseaux, tous les oiseaux en montagnes, toutes les montagnes en étoiles. Chaque étoile devient une maison, chaque maison une ville...” (Notes pour une biographie, 1969). Autant de motifs qui nourrissent sans relâche cette éclosion d’“ornements naturels pour de futures combinaisons” (Les malheurs des im­mortels) avec l’imaginaire. L’e­x­po­sition proposée par le Centre Pompidou n’a donc pas pour seul enjeu d’élargir la perception d’une œuvre notoirement efflorescente. Le terme de “sculpture” tient lieu ici de commodité pour désigner les reliefs, assemblages, collages, pierres sculptées et peintes (Maloja, 1935), décors, fresques, bas-reliefs, installations (Eaubonne, Saint-Martin-d’Ardèche, Sedona, Huismes), sculptures et peintures conçus dans cet “au-delà de la peinture” où l’art se confondrait avec une certaine manière d’habiter le monde.

MAX ERNST, SCULPTURES, MAISONS ET PAYSAGES, jusqu’au 27 juillet, Centre Georges Pompidou, Galerie sud, tlj sauf mardi 12h-22h, sam. et dim. 10h-22h. Catalogue sous la direction de Werner Spies, avec des contributions de Werner Spies, Doris Krystof, Günter Metken et Fabrice Hergott, éditions du Centre Pompidou.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°60 du 9 mai 1998, avec le titre suivant : Un sculpteur perturbateur

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