ENTRETIEN

Patrice Trigano, galeriste à Paris

« Les prix vont baisser »

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2008 - 767 mots

Patrice Trigano a été associé de 1973 à 1978 à Pierre et Marianne Nahon (Galerie Beaubourg, Paris). En 1981, il a ouvert sa propre enseigne rue des Beaux-Arts (Paris-6e).

Le 8 janvier 2009 paraît À l’ombre des flammes, un livre d’entretiens menés avec le critique d’art Alain Jouffroy. Ce dernier est pourtant réputé pour son aversion du marché…
À la publication de mon premier livre, les Éditions de la Différence l’avaient envoyé à Alain Jouffroy. Celui-ci m’avait écrit me disant que j’avais été franc, honnête, que mes portraits étaient ciselés. Comme j’organisais l’exposition Giacometti, je l’ai invité à rédiger la préface du catalogue. Je me suis aventuré à lui dire que je voulais faire un livre d’entretiens avec lui. Il a répliqué : « un livre d’entretiens, non, mais de dialogues, oui ». L’idée est de créer une promenade dans l’univers de la pensée révoltée en constituant une galerie de poètes comme Jean-Pierre Dupré, Stanislas Rodanski, Breton ou Artaud, et une autre d’artistes avec Roberto Matta, Victor Brauner, Daniel Pommereulle, Raymond Hains ou Jacques Villeglé.

Pourquoi cet attachement à la révolte ne se perçoit-il pas dans votre programmation, qui semble plutôt commerciale ?
Lorsque je codirigeais la galerie Beaubourg, j’ai exposé pas mal de révoltés, comme Raoul Haussmann, Michaux, Pommereulle ou Erró. Allen Jones est un révolté, Mel Ramos est un intellectuel de gauche américain. Un artiste comme Michel Iturria ne semble pas à la mode, mais c’est un rebelle. Je me suis occupé de peintres figuratifs, mais pas d’artistes académiques. J’ai besoin de me nourrir d’images, de passer d’Eugène Carrière aux hyperréalistes américains. Je n’ai de comptes à rendre à personne. On a tendance à penser qu’un marchand qui s’intéresse à l’avant-garde doit confiner son action dans l’avant-garde. On veut qu’un pur et dur du conceptuel n’en déroge pas. Les organisateurs de foires aiment les galeries qui ont une image claire, précise et dont l’action va dans le sens de la mode. Je suis le contraire de ça, c’est un handicap, mais c’est le prix de ma liberté. Aussi, en France, une galerie qui vend bien est suspecte de compromis et de facilité.

Qu’est-ce qui a changé depuis trente-cinq ans que vous êtes galeriste ?
Les moyens de communication ont évolué. L’activité s’est mondialisée alors qu’elle était franco-française. Le comportement des amateurs est différent. En 1973, lorsqu’un amateur de peinture allait dans une galerie, c’était pour y passer une partie de l’après-midi. Cela n’existe plus. Les gens aujourd’hui cherchent une chose bien précise et ne regardent pas le reste. C’est lié au marketing qui accompagne le marché de l’art. On canalise le regard vers certaines choses à l’exclusion des autres.

Vous avez connu plusieurs crises. En quoi celle que nous traversons est-elle différente des autres ?
La crise actuelle, on ne connaît pas vraiment sa durée, son ampleur ni son incidence sur le marché de l’art. Le marché de l’art est logé sur la queue de la comète du marché économique. Mais il a des atouts fondamentaux, le principal étant l’attachement des amateurs pour les œuvres qu’ils possèdent. Les spéculateurs d’aujourd’hui sont différents de ceux des années 1980 qui empruntaient de l’argent et n’ont eu d’autre choix que de tout remettre sur le marché pour rembourser les banques, quitte à vendre à perte. Aujourd’hui, les gens ont spéculé avec leur propre argent et remettront moins facilement en vente. Le golden boy qui a acheté la panoplie du parvenu vendra, mais moins qu’en 1990. Il est certain que, l’an prochain, nous allons essuyer une tempête. Le volume d’activité en ventes publiques va baisser de moitié, et les prix de 30 à 40 %. Mais je ne suis pas dans le catastrophisme. « Krisis » en grec veut dire réflexion. Je vais sans doute réduire le nombre d’expositions, passer de 7-8 à 4-5 par an. À l’issue des foires du premier semestre, je verrai celles que je continuerai à faire. En chinois, le mot « crise » est constitué de deux idéogrammes qui signifient « danger » mais aussi « opportunité ». La crise engendre des opportunités de travailler avec des artistes qui ne sont pas forcément contents de leurs galeries actuelles. Cela ouvrira peut-être aussi des possibilités sur des foires comme Maastricht.

La France subira-t-elle la secousse de manière moins violente ?
Certaines galeries fermeront sans doute à New York, moins à Paris. Les frais des galeries en France n’ont rien à voir avec ceux de Chelsea. Les galeries françaises sont plus à même de faire le dos rond et d’attendre que ça passe. Une crise bien gérée, c’est lorsqu’on réduit la voilure tout en conservant l’activité.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°293 du 12 décembre 2008, avec le titre suivant : Patrice Trigano, galeriste à Paris

Tous les articles dans Marché

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque