Essai

L’intelligence de la photo

Par Christophe Domino · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2008 - 798 mots

Le Musée d’art contemporain de Barcelone prend pour point de départ le paradigme documentaire.

BARCELONE - Le paquebot blanc du Macba (Musée d’art contemporain de Barcelone) invite à une traversée exceptionnelle, qui demeurera une référence : par son volume, par son ambition historique, mais surtout par son parti pris. Quelque 2 000 images réparties sur deux étages du bâtiment, plus d’un siècle et demi d’histoire (de 1851 pour les plus anciennes images à aujourd’hui pour les œuvres commandées pour l’occasion), environ 250 auteurs pour un parcours conçu par Jorge Ribalta, le commissaire de l’exposition, et Bartomeu Marí, le directeur du musée. Ceux-ci parviennent à rendre manifeste l’intelligence de la photographie sans faire du nombre un pur argument quantitatif. Sans non plus chercher dans la continuité généalogique ces déterminismes qui conduisent de l’histoire de l’art à l’historicisme, et surtout en évitant toute réduction formaliste. Aussi n’est-ce pas un genre qu’ils ont cherché à identifier, mais un paradigme constitutif de toute photographie. L’exposition s’intéresse à une fonction, en la cherchant là où elle est un enjeu majeur : dans la photographie documentaire. Sous le titre de « L’archive universelle », c’est un symptôme du fait photographique que le sous-titre explicite : « l’utopie photographique moderne » appelée pour interroger « la condition du document ».

La photo en groupes
La présentation propose donc une inversion dans l’approche. Ses sections sondent le statut cognitif de la photographie, son rôle dans la constitution des savoirs et des cultures de leur temps (et du nôtre). La perspective est formidablement féconde. D’abord parce qu’elle est soutenue par la qualité formelle des œuvres choisies, leur qualité technique et leur accrochage. Le plus souvent réunies en groupes significatifs, elles ne sont jamais instrumentalisées en tant qu’illustration du propos : la réception sensible n’est pas sacrifiée. Et surtout parce que les pans de l’« utopie moderne » qu’elle identifie proposent des traversées jusqu’à la culture contemporaine. Quatre aires se dessinent, qui parfois se recoupent historiquement. La première s’attache, autour du titre « Politiques de la victime (1907-1943) », à cette forme d’humanisme qui voit en l’homme de la rue, l’homme du commun, une émergence du sujet moderne. Le photographe y puise une conscience responsable face à la misère des hommes. « Espaces photographiques publics (1928-1955) »  rend compte de l’élargissement de la vision que produit la photographie en passant de l’échelle de l’intime à celle du monde bâti. L’image devient espace physique en même temps qu’idéologique, et participe de notre réalité environnementale et mentale, dès les pavillons constructivistes puis soviétiques jusqu’aux démonstrations de la propagande fasciste. Et encore, quand, avec l’exposition américaine « Family of Man » en 1955, la forme spatiale prend celle, itinérante et mondialisée, de l’exposition de photos : la photographie est aussi une modalité du politique. Dans la section « La photographie comparée (1923-1965) », avec les images des planches d’Aby Warburg mises en exergue, l’image devient un instrument du sens : l’ethnographie s’en sert ainsi, de manière exemplaire comme la revue Documents de Bataille (ici présente comme nombre de supports imprimés : brochures, livres, presse).
Avec « Topographies : la culture du paysage et de la transformation urbaine (1851-1988»), suivie du regard photographique sur la construction de Barcelone au long du XXe, et jusqu’à la commande faite par le musée à une quinzaine de photographes sur la Barcelone d’aujourd’hui, s’ouvre un autre axe-clef : le paysage de la ville moderne et la photographie, leur histoire parallèle, se constituant l’une en regard de l’autre. Depuis la Mission héliographique de Mérimée à la Datar, d’Atget à Berenice Abbott puis à Ed Ruscha, Dan Graham ou aux Becher, l’aller et retour entre image et imaginaire donne corps à ce rêve d’universalité de l’archive, rêve borgésien que désormais concrétise au bénéfice de l’universalisme marchand l’archivage façon Corbis.
La section consacrée aux contemporains, « 2007. Images métropolitaines de la nouvelle Barcelone », apparaît décevante à l’égard des perspectives ouvertes. Allan Sekula, Patrick Faigenbaum, David Golblatt, Marc Pataut, Hans-Peter Feldmann, la question n’est pas celle du mérite des… auteurs ? artistes ? (La question reste entière, dans l’ambiguïté actuelle des statuts.) Les séries de Gilles Saussier, la « fresque » photographique de Lothar Baumgarten, sont réussies, mais l’intérêt de l’exposition tient à ce qu’elle pointe l’état instable du paradigme documentaire, du rapport de la photographie à la vérité, au monde et aux savoirs aujourd’hui.

Arxiu universal. La condició del document i la utopia fotogràfica moderna, jusqu’au 6 janvier 2009, Macba, Plaça dels Àngels, Barcelone, tél. 34 93.412.08.10, tlj sauf mardi 11h-19h30, 10h-20h le samedi, 10h-15 h le dimanche et pendant les périodes de vacances, www.macba.es/
Présentation détaillée du projet « 2007 Images metropolitanes de la nova Barcelona » à l’adresse www.macba.es/survey/
Exposition coproduite avec le Museu Berardo à Lisbonne où elle ira du 9 mars au 3 mai 2009.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°293 du 12 décembre 2008, avec le titre suivant : L’intelligence de la photo

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