Enquête

Les sirènes de New York

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 9 décembre 2008 - 1548 mots

CulturesFrance veut réviser son système de résidence en mettant en place une nouvelle Villa Médicis à New York. Un projet controversé.

PARIS - Branle-bas de combat à CulturesFrance ! Les services entendent réviser de fond en comble la politique de résidence des artistes français à l’étranger, le pôle « résidences » représentant environ 6% du budget annuel de l’association, soit 1,01 million d’euros (1). Sur la forme, cette refonte passe par une rationalisation des outils proposés à ce jour. Sur le fond, la stratégie paraît plus obscure. Car le projet d’Olivier Poivre d’Arvor, patron de CulturesFrance, se résume à la duplication à New York du modèle de la Villa Médicis (Rome) ou de la Villa Kujoyama (Kyoto). Un modèle qui semble pourtant obsolète, plus propice à l’isolement et à l’écriture qu’à la création in vivo.
La Villa Kujoyama n’est-elle déjà pas un fil à la patte de CulturesFrance ? Pour Jean-Paul Ollivier, directeur de la Villa, « la raison d’être est d’abord historique, tout comme elle est le résultat de relations franco-japonaises toujours vivantes. » En d’autres termes, la France est coincée car la construction du bâtiment actuel a été intégralement financée par les Japonais, tandis que la gestion et le fonctionnement sont assurés à hauteur de 365 000  euros annuels par le ministère français des Affaires étrangères (130 000 euros) et CulturesFrance (235 000 euros). Le hic, c’est que Kyoto est en marge des grands circuits mondiaux et que les réseaux nippons se révèlent particulièrement fermés. «  Les autorités qui ont créé la Villa avaient bien à l’esprit que Kyoto n’était pas la principale scène artistique du Japon, défend Jean-Paul Ollivier. La Villa a été imaginée comme un lieu de création, d’inspiration, de décantation artistique. Elle est située dans la capitale historique et artistique du pays, et le Goethe-Institut [l’équivalent allemand], fort de l’expérience française, vient de décider de transformer, précisément à Kyoto, son institut en résidence d’artistes allemands à compter de 2011. C’est parce que Kyoto se distingue de Tokyo et qu’elle se démarque de l’homogénéisation des grandes capitales mondiales que beaucoup d’artistes souhaitent y résider. » Jean-Paul Ollivier reconnaît pourtant des faiblesses : l’absence de traces et d’archives sur le passage des artistes et un manque de moyens pour la production d’œuvres et la présentation des travaux en cours. Il est aussi nécessaire de quitter régulièrement la Villa pour éviter le confinement. « Je compte appliquer mon programme habituel, circuler beaucoup, photographier, dessiner intensément, assure le peintre Yves Berlorgey, lauréat cette année de la Villa Kujoyama. «Un des moteurs de mon travail est de sortir de l’atelier. »
La pertinence de la Villa Médicis à Rome est elle-même sujette à caution, ce d’autant plus que ce grand complexe regroupant vingt logements, parmi lesquels quatre ateliers-logements, et dix ateliers pompe une subvention annuelle de 5,19 millions d’euros au ministère de la Culture. Véritable havre luxueux pour ses pensionnaires, cette enclave romaine ne figure pas sur la feuille de route des chasseurs de têtes de l’art. « Peu de curateurs étrangers sont venus dans mon atelier », déplore l’artiste Frédérique Loutz, laquelle se déclare néanmoins heureuse de son expérience. « Les Italiens, les Romains, étaient inexistants. En revanche, j’ai eu des échanges très constructifs avec des personnalités de la scène française. » Et d’ajouter : «  La Villa est un cocon, un village dans la ville, elle n’a pas facilité les rencontres, mais rien n’empêchait d’en sortir. »

Camp retranché
Aussi la création d’une Villa Médicis new-yorkaise, invoquée dès 2006, n’est-elle pas la fausse bonne idée par excellence ? « Aller vivre à New   York pendant six mois est un acte fondateur pour les créateurs. New York restera l’un des quatre ou cinq grands lieux pour les industries culturelles, c’est un lieu de pouvoir, où se trouve le marché », martèle Olivier Poivre d’Arvor. Mais si la Villa Médicis de Rome est née à une époque où l’Hexagone ne savait que faire de ses bâtiments dans la capitale italienne, la France ne possède pas d’infrastructures à New York. Après avoir un temps songé à un achat, estimé autour de 10 millions de dollars, investissement impensable en pleine disette budgétaire, CulturesFrance s’est rabattue sur la location, évaluée à 500 000 euros annuels (2) pour accueillir douze artistes.
Encore faut-il s’interroger sur la vocation même d’une résidence. Est-ce un outil pour construire des réseaux ou un simple lieu de création      ? Si la Grande Pomme reste une place de marché, elle n’est plus autant un foyer vivace de création. Une résidence new-yorkaise apparaît surtout utile pour tisser ou faire fructifier des réseaux. À cet effet, tous les observateurs exhortent à une collaboration avec les partenaires étrangers, une pratique entretenue avec le Lower Manhattan Cultural Council, ou l’International Studio and Curatorial Program (ISCP). Une Villa Médicis new-yorkaise risque cependant fort de se transformer en camp retranché hexagonal, le comble à l’ère de la mondialisation, du métissage et de l’échange ! La fondation Art Omi, qui héberge une trentaine de résidents internationaux, pour moitié américains, avait pour sa part proposé à la France de lui céder une concession de terrain à Ghent, située à deux heures en train de Manhattan, près du musée Dia:Beacon, afin qu’elle puisse y construire un pavillon français. Une opportunité qui permettait aux artistes français d’être immergés dans un environnement multiculturel, mais qui en revanche était éloignée du cœur névralgique de Manhattan ou Brooklyn.

Des professionnels payés pour venir
Par ailleurs, si New York est une place aussi incontournable, pourquoi avoir choisi de supprimer en septembre l’un des deux ateliers français de l’ISCP en invoquant une coupe budgétaire, alors même que CulturesFrance semble pour l’heure épargnée ? «  Le bilan des équipes n’est pas bon, il n’y a pas d’accompagnement des professionnels américains », rétorque Olivier Poivre d’Arvor. Celui-ci se veut très radical : dès la création d’une Villa Médicis, qui n’a pour l’heure reçu aucun aval ministériel, les trois programmes new-yorkais actuellement en cours seraient stoppés. «  En soustrayant un atelier au programme de l’ISCP, on se retire la possibilité de donner une chance aux plus jeunes artistes d’y aller, souligne la critique d’art Bénédicte Ramade, membre du jury de sélection des ateliers. Avec un seul atelier, on ne peut faire partir que des artistes dont on est sûr qu’ils possèdent un réseau qu’ils peuvent faire fructifier. » Admettons toutefois que les artistes émergents ne sont pas nécessairement les plus armés pour affronter une ville aussi rude que New York.
Quoi qu’il en soit, la suppression progressive de ces programmes fait bondir l’artiste Damien Deroubaix, en résidence l’an dernier à l’ISCP. « L’atelier est immense pour New York et [ceux qui en bénéficient] sont pris au sérieux ici, assure-t-il. Cette résidence est un luxe, un appartement en plein Greenwich Village, un atelier de 35 m2 avec 6 mètres sous plafond, et en raison du taux de change actuel, [une bourse de] 2 000 dollars par mois. Qui oserait dire que ce n’est pas bien ?  » Le bilan à mi-chemin est tout aussi positif pour Emmanuel Lagarrigue, actuellement en résidence à l’ISCP : « L’accompagnement est de bonne qualité, confie-t-il. En trois mois, j’ai rencontré les directeurs du Swiss Institute et du SculptureCenter, et un curateur de [la galerie] Gagosian. » Le point de vue de Laurent Grasso est en revanche plus mitigé, d’autant que les professionnels « invités » sont payés pour venir. « Les rendez-vous durent dix minutes et s’arrêtent à “c’est très bien ce que vous faites”, regrette-t-il. Ça ne sert à rien d’inviter des commissaires s’ils n’ont pas émis d’intérêt particulier, mais il faut que ce genre de lieu continue à exister. » L’artiste Gregory Forstner, qui s’estime « chanceux » de bénéficier d’un programme comme celui du Triangle Studio où il est en résidence depuis un an, précise : « La difficulté que rencontrent tous les lieux de résidence, c’est de faire venir des personnes qui s’intéressent spécifiquement à notre travail. Avant d’arriver en résidence, il faudrait faire un travail très fort en amont. »
La formule de « CulturesFrance hors les murs », octroyant une quarantaine de bourses annuelles pour des destinations réparties dans le monde entier, n’est-elle finalement pas la plus appropriée au nomadisme des artistes ? « On ne peut plus répondre à 160 pays dans le monde en même temps, réplique Olivier Poivre d’Arvor. Nous ne sommes pas une agence de voyage, je veux flécher des destinations. Je ne veux pas proposer une bourse de plus, mais une bourse capitale. Aller sur un cratère à La Réunion, c’est une aventure artistique, mais ce n’est pas ce qu’il faut encourager. Je ne veux pas avoir les mains liées avec quarante lieux de résidence. On ne va pas s’épuiser en contrats avec la Rijksakademie [Amsterdam], la Ville de Paris, etc. » Il est indéniablement nécessaire de limiter le saupoudrage. Mais le projet d’une nouvelle Villa Médicis est-il adapté aux enjeux actuels du soutien des artistes français à l’étranger ?

(1) Cette somme couvre la Villa Kujoyama, à Kyoto (Japon), les Ateliers new-yorkais et le Triangle Studio, « CulturesFrance hors les murs », les bourses Stendhal, les programmes Visa pour la création et Caraïbes en créations, Les Inclassables et ceux conduits en partenariat avec la Ville de Paris. (2) Cette évaluation comprend le loyer, les bourses, l’entretien et le salaire d’un directeur.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°293 du 12 décembre 2008, avec le titre suivant : Les sirènes de New York

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