De Valence en Lombardie

Un maître peut en cacher un autre

Le Journal des Arts

Le 5 juin 1998 - 689 mots

Une exposition, présentée d’abord en Espagne puis à Florence, permet de confronter entre eux, et à des œuvres italiennes contemporaines plusieurs tableaux de Ferrando Yánez et Ferrando Llanos, co-auteurs du retable de la cathédrale de Valence. Si l’on s’accorde à reconnaître chez le premier – surnommé en Italie “Fernando l’Espagnol�? – le principal collaborateur de Léonard de Vinci pour sa célèbre Bataille d’Anghiari, le second restait en revanche dans l’ombre. L’historienne de l’art Nicole Dacos propose une reconstitution du parcours artistique de Llanos.

FLORENCE - La Casa Buonarroti accueille l’exposition qui vient d’être présentée au Musée des beaux arts de Valence. Pour des raisons de conservation, l’une des œuvres vedettes de la manifestation espagnole n’est pas montrée à Florence. Les douze panneaux du retable du maître-autel de la cathédrale n’ont pas pu faire le voyage. À l’origine peints de chaque côté d’un retable en argent, ces panneaux ont été sciés lorsque l’on a fait fondre celui-ci au XIXe siècle, puis récemment restaurés et remontés.

Deux artistes avaient conçu la partie peinte : Ferrando Llanos et Ferrando Yánez. L’un comme l’autre étaient arrivés à Valence en 1506, après avoir reçu commande d’un petit retable. Il s’agissait à l’évidence de tester leur talent. Le 1er mars de l’année suivante, ils signaient leur contrat pour le grand ensemble de la cathédrale, achevé en 1510.

Deux talents inégaux
Bien que la répartition des tâches de chacun soit encore sujette à discussion, il semble que la collaboration des deux Ferrando ait été assez étroite, puisqu’elle remonte parfois à l’invention des scènes et qu’elle s’est poursuivie tout au long de l’exécution du retable. On s’accorde désormais à reconnaître en Yánez l’élément le plus créatif du tandem, responsable notamment de la nouvelle disposition de l’espace qui s’impose dans le retable. Dans la splendide composition de l’Adoration des Bergers, par exemple, Llanos, peu sensible aux effets de perspective et porté à la reproduction servile, n’aurait fait que le seconder.

Cette hypothèse est renforcée par les œuvres que l’on connaît d’eux, une fois leur association terminée. Llanos est parti travailler à Murcie, où l’on perd sa trace dans les années 1520. Quant à Yánez, il exerce à Cuenca avant de rentrer à Almedina, sa ville natale, où il est encore mentionné en 1536. Yánez est en outre identifié au “Fernando l’Espagnol” dont le nom apparaît deux fois dans les paiements relatifs à la Bataille d’Anghiari, en 1505. Il semble être alors le principal collaborateur de Léonard de Vinci.

La vue des panneaux restaurés du retable vient encore renforcer cette image de Yánez, tout en nuançant le jugement exprimé sur Llanos. La tête de saint Joseph, à la peau épaisse ciselée de rides, dans le Repos pendant la fuite en Égypte, ou celle du grand prêtre de la Présentation au Temple, ne manquent pas d’une certaine intensité, que l’on retrouve dans le saint Joseph du Mariage de la Vierge à Murcie.

Le maître de la Pala Sforzesca
Ces derniers éléments stylistiques permettent d’avancer une hypothèse. En Italie, Llanos serait intervenu sur la Madone à l’Enfant entourée de quatre docteurs de l’Église, avec Ludovic le More, ses fils et son épouse, qui est conservée à Brera et que l’on attribue d’ordinaire au Maître de la Pala Sforzesca. Ce tableau de 1494, autour duquel ont pu être rassemblés quelques peintures et dessins, révèle une culture mûrie à l’école lombarde et proche de peintres comme Foppa, plus encore que Léonard. Outre sa rare qualité, probablement due à un élève direct de Léonard, il trahit également certaines maladresses. Difficilement explicables de la part d’un Italien, celles-ci pourraient en revanche se justifier de la part d’un jeune Espagnol venu en apprentissage. De même, l’atmosphère quelque peu étouffante, liée à l’omniprésence des ornements, dénote un goût étranger plutôt qu’italien.

Un élément non stylistique vient étayer cette hypothèse : on connaît la mention, vers 1495, d’un collaborateur de Léonard du nom Fernando. Il pourrait s’agir de cet assistant intervenu dans la Pala Sforzesca : Llanos.

“FERNANDO L’ESPAGNOL�? ET AUTRES MAÎTRES IBÉRIQUES DANS L’ITALIE DE LÉONARD ET DE MICHEL-ANGE, jusqu’au 30 juillet, Casa Buonarroti, via di Ghibellina 70, Florence, tél. 39 55 24 17 52, tlj sauf mardi 9h30-13h30

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : De Valence en Lombardie

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