Le pari risqué de François Pinault

Une OPA qui pourrait s’avérer très coûteuse

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 5 juin 1998 - 718 mots

L’offre publique d’achat lancée le 18 mai par Artémis, la holding de François Pinault, pour acquérir, moyennant 7 milliards de francs, la totalité des actions de Christie’s International Plc, ne devrait pas rencontrer d’obstacles. L’homme d’affaires parviendra-t-il pour autant à faire de ce rachat une opération profitable ?

PARIS - Pugnace et obstiné, François Pinault l’est sans conteste. Les choses n’ont pas traîné depuis qu’il a eu vent de l’échec de la prise de contrôle de Christie’s par la banque Warburg. Le 5 mai, il annonçait l’achat d’un premier bloc de 29,1 % des actions. Le 11, il rencontrait à Londres le directeur général Christopher Davidge et le conseil d’administration de la maison de vente. Une semaine plus tard, le 18, il lançait une offre publique d’achat portant sur la totalité du capital, au prix de 396 pence (38,57 francs) par action, soit une prime de 40 % par rapport au cours de bourse de Christie’s à Londres début mai. Ainsi, il valorisait la société à plus de 7 milliards de francs et coupait l’herbe sous le pied des éventuels surenchérisseurs. “C’est un prix considérable”, confiait Guy Bell, analyste financier auprès du courtier Beeson Gregory, ajoutant qu’il serait surprenant qu’une tierce personne entre en lice. Les éventuels candidats disposent cependant d’un délai d’un mois à compter du 18 mai, date de l’OPA, pour se manifester. Hugh Morrisson, conseiller en communication de François Pinault à Londres, précisait fin mai qu’Artémis disposait déjà d’environ 50 % des actions, dont les 9 % du fonds d’investissement anglo-saxon So Partners, et 10 % partagés entre la famille Floyd et le conseil d’administration de Christie’s, qui a accueilli favorablement la prise de contrôle de Pinault et recommandé aux actionnaires d’apporter leurs titres. Christopher Davidge ne cachait pas non plus sa satisfaction et couvrait d’éloges le nouveau propriétaire. Autre avantage pour les dirigeants du numéro 1 mondial des ventes : si l’OPA devient définitive, le président de Christie’s, Lord Hindlip, et son directeur général, Christopher Davidge, devraient chacun empocher environ 1,8 million de livres sterling (17,5 millions de francs) en se défaisant de leurs actions. L’initiative d’Artémis permettrait en outre, aux yeux du conseil d’administration, de mettre un terme aux rumeurs et aux tentatives de prise de contrôle qui pesaient comme une épée de Damoclès sur la maison de vente, empêchant le développement de stratégies à long terme.

François Pinault n’ayant pas l’habitude d’entrer en scène pour jouer les sleeping partners, Artémis devrait apporter à l’auctioneer des moyens et compétences complémentaires, notamment en matière de services financiers ou immobiliers. Christie’s pourrait ainsi, à l’instar de Sotheby’s, proposer une souplesse financière à ses clients, sous forme de prêts à court terme.

Asseoir le développement international de Christie’s
Quelles sont les motivations et les projets de l’homme d’affaires français ? “François Pinault marque sa volonté d’accompagner le développement de la société sur le long terme, précise le communiqué d’Image 7, la société chargée de la communication de la holding. Artémis soutiendra l’action du président de Christie’s Lord Hindlip, du directeur général Christopher Davidge, ainsi que de l’ensemble du management dans la mise en œuvre de la stratégie de croissance à travers le monde”. Pour Adeline Challon, conseiller en communication de l’homme d’affaires, “François Pinault connaît bien le marché de l’art. Il a l’avantage de pouvoir discuter d’égal à égal avec les principaux interlocuteurs dans ce domaine. Il devrait permettre à Christie’s d’asseoir son développement à l’international. Il ne lui déplaît sans doute pas, en outre – c’est son côté breton –, après le rachat du Château Latour à des Britanniques et celui du Printemps à des Suisses, d’enlever au Royaume-Uni un de ses fleurons”.

L’expert Marc Blondeau, un des proches de François Pinault, verrait bien Christie’s agir de façon plus sélective dans les ventes publiques et se diversifier dans des activités complémentaires, comme l’édition d’art ou les voyages culturels.

François Pinault parviendra-t-il à obtenir un retour sur investissement sur un marché où la compétition est rude et l’avenir encore incertain ? Quel sera l’impact de la crise financière que connaît le Sud-Est asiatique ? Pourra-t-il à la fois réduire les coûts élevés (salaires et catalogues) et assainir une société dont les bénéfices par salarié sont inférieurs à ceux de son principal concurrent, So­theby’s, tout en assurant le développement stratégique de la société ? Le pari est risqué.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°62 du 5 juin 1998, avec le titre suivant : Le pari risqué de François Pinault

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