Arp dans la tourmente

Les plâtres de l’artiste attendent une expertise

Par Jean-Marie Schmitt · Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 845 mots

Le Tribunal de Valenciennes a refusé la demande des Douanes de soumettre le litige sur les plâtres de Jean Arp à la Commission de conciliation et d’expertise douanière (CCED) et presse les experts nommés en juin 1997 de rendre leur rapport, qui devait être déposé le 30 novembre dernier. Le retard semble dû à l’introduction dans le litige de la position du ministère de la Culture, qui estime que les œuvres saisies en mai 1996 constituent une collection d’intérêt historique. L’affaire pourrait se trouver transportée devant la Cour de justice des Communautés européennes.

PARIS - Le 26 mai dernier, le service de contrôle des expertises de la Cour d’appel de Douai a transmis par télécopie en urgence une ordonnance de comparution du 30 avril du Tribunal de Valenciennes aux experts désignés en juin 1997 pour se prononcer sur la valeur de 19 plâtres de Jean Arp (1886-1966) saisis par les Douanes. Dans les faits, il semble qu’aucune réunion du collège d’experts (Denise René, Jean-Pierre Camart et la SCP Christian Dequay) n’ait été organisée depuis sa nomination. Cette apathie singulière exprime peut-être la perplexité de ces spécialistes sur la délicate question de la valeur des plâtres, mais plus sûrement du temps nécessaire pour aligner les positions des Douanes et de la Culture dans cette affaire.

Il faut rappeler les circonstances. En mai 1996, les Douanes ont appréhendé un chargement de 146 pièces – dont 114 sculptures et plâtres – de Jean Arp qu’un camionneur, mandaté par la Fondation allemande Hans Arp/ Sophie Taeuber-Arp, s’apprêtait à transférer en Allemagne sans certificat de libre circulation. Au plan douanier, ce transfert ne serait illicite que si la valeur des pièces excédait les seuils de valeur retenus par la loi du 31 décembre 1992 et le décret du 29 janvier 1993, qui ont établi en France la procédure du certificat de libre circulation. Les Douanes ont initialement poursuivi en visant la catégorie des sculptures pour laquelle le seuil est de 50 000 écus, soit environ 350 000 francs.

Avis divergents
La mission donnée aux experts était donc d’examiner les sculptures de plus de 50 ans d’âge (les pièces de moins de 50 ans n’étant pas soumise au certificat), c’est-à-dire 19 plâtres, et d’en donner la valeur. Problème épineux car les avis divergeaient considérablement, au point que le Tribunal avait demandé aux experts de dire la valeur unitaire de chacun des plâtres, mais également “si possible, la valeur des droits de reproduction de chacune des 19 sculptures”, ce qui visait l’usage possible des plâtres pour réaliser de nouvelles fontes.

Toutefois, la question pouvait être envisagée différemment, en visant l’ensemble et non chaque élément considéré isolément. En effet, la réglementation du certificat a également prévu une catégorie pour les “collections présentant un intérêt historique” d’une valeur globale supérieure à 50 000 écus. Cette catégorie n’était pas visée dans la procédure initiale mais avait été évoquée par le ministère de la Culture, qui n’était pas directement partie au procès mais y avait été associé par le Tribunal, qui invitait les experts à consulter “les représentants habilités du ministère de la Culture”.

Il s’est depuis prononcé en ces termes : “Pour le ministère de la Culture, l’ensemble constitué par les 114 plâtres est une collection d’intérêt historique, et la distinction entre pièces ayant plus ou moins de 50 ans d’âge est réductrice et ne présente qu’un intérêt limité s’agissant de l’œuvre de Jean Arp. En raison de la place de l’œuvre de Jean Arp dans l’histoire de l’art, le ministère de la Culture attache une importance particulière au maintien de cet ensemble provenant de l’atelier de l’artiste en tant que collection indivisible. Ces œuvres dans leur réunion acquièrent le statut de témoins du travail de création de Jean Arp, qui entendait donner à ses plâtres un statut particulier, selon la volonté de Jean Arp, précisément confirmée par Marguerite Arp dans son testament en date du 20 janvier 1969”.

Demande de saisie de la Cour européenne
Tenant compte de cette appréciation, la Direction des Douanes a complété son assignation en janvier 1998, en visant également le transfert sans certificat d’une collection d’intérêt historique. En avril, elle a en outre demandé la désignation par le Tribunal de la Commission de conciliation et d’expertise douanière (CCED), ce qui aurait abouti à dessaisir les experts. L’avocate des défendeurs, Me Funck-Brentano a contesté cette requalification des faits, estimant qu’elle apporterait d’ailleurs la preuve de la bonne foi des défendeurs, “les Douanes n’ayant elles-mêmes, dans un premier temps, pas retenu cette qualification”, et a demandé la saisie de la Cour de justice des Communautés européennes pour dire si l’ensemble saisi constitue une collection au sens de la réglementation communautaire.

Dans son dernier jugement du 30 avril 1998, le Tribunal a rejeté la demande de désignation de la CCED et étendu la mission des experts, qui devront également “déterminer si les 114 sculptures et plâtres et les 32 reliefs en métal constituent une collection présentant un intérêt historique d’une valeur supérieure à 50 000 écus”.

On comprend que les experts, égarés entre les lignes de cette mêlée judiciaire, soient restés dans l’expectative.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : Arp dans la tourmente

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