Lever, puis serrer

En Alsace, un nouvelle étape pour Emmanuel Saulnier

Par Philippe Régnier · Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 545 mots

Du sud au nord, d’Altkirch à Strasbourg, l’Alsace accueille cet été une double exposition d’Emmanuel Saulnier. Embrassant ses créations de 1985 à 1998, elle dévoile notamment une nouvelle orientation du travail du sculpteur, qui délaisse le verre pour le cuir et passe de « Lever » à « Serrer ».

ALTKIRCH-STRASBOURG - Dans l’entrée du Crac Alsace, à Altkirch, et comme il est de coutume lorsque le lieu présente deux monographies, une sculpture en verre d’Emmanuel Saulnier, dans laquelle il a fait couler beaucoup d’encre, est confrontée à quelques mots disposés sur les murs par Pierre Mercier : “croire”, “aimer”, “vouloir”. “Lever” serait-on tenté d’ajouter en abordant avec Saulnier, au premier étage de cet ancien lycée, la notion de lévitation. Avec le verre, le sculpteur entend se saisir de “la question de la limitation et non de l’érection, pour que les pièces fassent sens par rapport à nous”. Au sujet de ses œuvres, il évoque notamment une transparence du visage en citant un texte de Lévinas ; plus loin, il souligne la présence d’un verre d’eau qui jaillit comme une dent, ou encore de cicatrices soufflées et repoussées. Pour Saulnier, “les parties du corps servent d’imaginaire” afin de nourrir une corporalité de la sculpture, créer une présence, une existence, construire “un rapport d’équivalence dans le vis-à-vis”. Cherchant à nouer au mieux ce dialogue entre l’œuvre et le visiteur, et à soigner le rapport de chaque pièce avec son environnement, il n’a d’ailleurs pas hésité à modifier certaines de ses créations. La mesure – intellectuellement, concrètement, physiquement – est en effet une notion centrale dans cette recherche d’une lévitation qui joue parfois avec les limites de la statique.

Cependant, l’exposition de la Chaufferie, à Strasbourg, semble s’éloigner de cette question pour un contact plus direct entre les choses, “une teneur, une tenue, une relation de dépendance plastique”, selon les propres termes de l’artiste. L’introduction du cuir noir dans son œuvre a pris naissance dans un dessin, non pas une esquisse rapide, spontanée, mais une œuvre sur papier retravaillée, redessinée. Avec ces pièces de cuir, cette matière noire qui absorbe la lumière, il semble se dé­tourner d’un certain rapport à la transparence, à la trans-lucidité du verre qui n’a cependant pas totalement disparu. Ici, Emmanuel Saulnier en­gage sans aucun doute un nouveau ser(re)ment.

Parallèlement à ces deux expositions, le sculpteur vient d’installer dans le passage Vauban – un passage couvert dans la Petite-France qui enjambe l’Ill pour rejoindre le futur Musée d’art mo­derne et contemporain de Strasbourg – la sculpture Deux Pendants, déjà montrée à Paris au Musée Zadkine. Réalisée grâce à l’aide à la production de la Caisse des dépôts et consignations, cette pièce trouve ici un cadre parfaitement adapté, sa cotte de maille trouvant un heureux écho dans les moulages des sculptures médiévales de la cathédrale de Strasbourg qui lui font face.

EMMANUEL SAULNIER, LEVER, jusqu’au 1er août, Crac Alsace, 18 rue du Château, 68130 Altkirch, tél. 02 89 08 82 59, mercredi­-dimanche 14h-18h ; EMMANUEL SAULNIER, SERRER, jusqu’au 1er août, La Chaufferie, galerie de l’École supérieure des arts décoratifs de Strasbourg, 5 rue de la Manufacture des Tabacs, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 35 38 58, mercredi-dimanche 14h-19h. Ouvrage coédité en partenariat avec les éditions Adam Biro, textes de Jean-Pierre Greff et Luc Lang.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : Lever, puis serrer

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