Lumières du Nord

Les peintres d’Utrecht à Londres

Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 500 mots

Enclave catholique en terre réformée, Utrecht a connu entre 1600 et 1650 un véritable âge d’or, grâce à ses peintres revenus d’Italie : Ter Brugghen, Van Honthorst… Les 78 tableaux rassemblés par la National Gallery de Londres soulignent l’originalité de cette école, en montrant, à côté des autres genres, l’importance de la peinture religieuse et allégorique.

LONDRES - La lumière évoquée dans le titre de l’exposition est d’abord celle d’une chandelle : ce poncif du caravagisme européen – qu’on se rappelle La Tour – était pourtant absente de l’œuvre du Caravage, privilégiant des sources d’éclairage hors champ. Avec le clair-obscur, les caravagistes d’Utrecht ont ramené de leur séjour en Italie un nouveau naturalisme, en phase avec la tradition nordique attentive au réel. Saints, philosophes et héros mythologiques présentent ainsi de pittoresques visages burinés, qui désamorcent le drame poignant d’une humanité déchue, au cœur de la peinture sacrée du Caravage. Néanmoins, chez un peintre comme Honthorst, demeure une aspiration à l’idéal qui éclate dans la chair porcelainée du Saint Sébastien de Londres. Cette peinture élégante servira naturellement sa carrière de peintre de cour, en Angleterre notamment. Sous l’influence de ces artistes rentrés de Rome dans les années 1610, se développe une nouvelle peinture plus directe, plus franche, délaissant les préciosités éculées du Maniérisme, dont Joachim Wtewael est une des figures emblématiques. Ce passage de la maniera à un caravagisme tempéré s’incarne dans la personne d’Abraham Bloemaert (1566-1651) qui, formé à l’ancienne mode, subira l’ascendant de ses cadets : Ter Brugghen, Baburen, Honthorst et Bijlert. Une conversion illustrée par de splendides têtes de vieillards.

Souvenir d’Italie
Une autre lumière baigne les tableaux peints à Utrecht, celle de l’Italie dont la chaleur contraste avec les lueurs blafardes du maniérisme tardif : le ciel embrasé par le soleil couchant, tel qu’on l’observe dans la campagne romaine, sert de toile de fond aux paysages de Jan Both et de Cornelis van Poelenburgh, souvent peuplés de petites figures évoquant la fable ou l’Histoire sainte. Avec une plus grande fidélité au paysage idéal inventé par Annibale Carrache, cette formule fera la gloire de Claude Lorrain.

Lumière toujours, mais divine cette fois, avec la religion, omniprésente dans la peinture d’Utrecht la catholique. Souvent associée aux scènes de genre, au paysage et au portrait, la peinture hollandaise, telle qu’elle se pratique ici, révèle un visage plus riche, plus proche des grands courants de l’art occidental. L’existence d’un clergé et d’une aristocratie favorise en effet le dé­­ve­loppement d’une peinture fidèle au dogme de la Contre-Réforme. Du Saint Sébastien soigné par Irène de Ter Brugghen à la Flagellation du Christ de Baburen, du Reniement de saint Pierre d’Honthorst à la Madeleine de Bijlert, les chefs-d’œuvre inspirés par la religion abondent. À la demande de la même clientèle, ces peintres livreront aussi des tableaux aux thèmes allégoriques ou littéraires d’une égale qualité.

LES MAÎTRES DE LA LUMIÈRE : PEINTRES HOLLANDAIS D’UTRECHT À L’ÂGE D’OR, jusqu’au 2 août, National Gallery, Trafalgar Square, Londres, tél. 44 171 747 2885, tlj 10h-18h, mercredi 10h-20h, dimanche 12h-18h.

L’Œil n° 497 de juin consacre un dossier aux tableaux clés de cette exposition.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : Lumières du Nord

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