L’actualité vue par Gérard Laizé

Directeur général de VIA

Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 939 mots

Après avoir été directeur du marketing international dans des entreprises comme Habitat, Gérard Laizé dirige depuis 1995 VIA (Valorisation de l’Innovation dans l’Ameublement), organisme qui apporte son soutien aux jeunes designers. Sous sa direction vient d’être publié un ouvrage de prospective intitulé Et si on remettait les compteurs à zéro ? Hypothèses pour des futurs probables (éditions de l’Imprimeur). Il commente l’actualité.

Quelles réflexions ont inspiré la rédaction de cet ouvrage ?
Alors que nous vivons une période de mutation profonde de la société, certains facteurs d’évolution ne sont pas pris en compte lors de la création de nouveaux produits. Tout le monde parle du micro-ordinateur à la maison, mais aucun mobilier spécifique n’a été conçu pour l’intégrer.

Vous observez un retard de la création sur l’évolution de l’activité humaine et des comportements, ainsi qu’un retard de l’art dans l’emploi des technologies nouvelles.
En France plus que dans d’autres pays plus jeunes, notre patrimoine culturel peut s’avérer encombrant, ce qui provoque parfois de la résistance à l’égard de la création contemporaine. Si acquérir les bases classiques est indispensable au dessin notamment, l’ouverture aux techniques modernes est nécessaire. Or les techniques et les matériaux innovants sont encore insuffisamment étudiés. Il y a sans doute un problème de moyens, mais aussi un manque de curiosité et d’ouverture, et quel dommage que les sciences humaines ne soient pas ici plus intégrées ! Même si une démarche créative est individuelle et solitaire, ne doit-elle pas à l’avenir associer plus de cultures et de compétences complémentaires, notamment technologiques ?

Jugez-vous encourageante l’annonce d’un partenariat entre l’Éducation nationale et la Culture pour développer l’enseignement artistique à l’école ?
La meilleure chose que la France ait à vendre à l’étranger, c’est sa culture, et ses talents créatifs sous toutes les formes. Je me félicite de cette initiative, car c’est dès le plus jeune âge que l’on peut éveiller de nouvelles sensibilités esthétiques. Aujourd’hui, à l’école, il n’y a aucune sensibilisation à l’esthétique d’un site, d’une architecture, à la couleur. Si le jeune n’a pas reçu une éducation complémentaire de ses parents, il part avec un handicap. L’angoisse due à l’ignorance porte les gens à reproduire des standards pour éviter de se tromper ; ce qui explique en matière d’arts décoratifs, la profusion de magazines de décoration. Développer la sensibilité chez les enfants et leur apprendre à l’exprimer favorisera leur esprit critique et les préparera à apprécier la valeur des choses. Je ne pense pas qu’il s’agit de faire de nos enfants des artistes-peintres, mais de leur offrir un autre mode d’expression.

Que vous inspirent les attaques répétées, encore récemment, du Front national contre l’art contemporain ?
Comment peut-on aborder l’avenir avec nostalgie ? C’est sans doute parce que les autres partis n’ont pas de programme suffisamment engagé que le FN bénéficie de cette audience disproportionnée. Les mouvements artistiques constituent des repères pour chaque époque puisqu’ils sont l’expression même de la société dont ils exacerbent les qualités ou les défauts. La création contemporaine s’inscrit naturellement dans un consensus culturel, sans s’opposer aux cultures antérieures mais en nourrissant l’histoire de notre pays. À ce titre, une plus grande solidarité de nos dirigeants institutionnels pour asseoir ces nouveaux courants esthétiques serait la bienvenue. Que dire du passéisme ou du misérabilisme qui sévit dans les ministères, et surtout dans les délégations françaises à l’étranger ? Donne-t-on la meilleure image de la France ? Où est la valeur d’exemple ? Quand Jacques Chirac fait un discours à la télévision derrière un magnifique bureau du XVIIIe et sous les lambris dorés de l’Élysée, il est beaucoup moins convaincant pour défendre la modernité française que derrière un bureau contemporain. L’engagement de Tony Blair sur ce plan constitue une magnifique impulsion pour les Anglais. Mais il ne faut pas croire, avec quelques journalistes en mal de scoop, que toute la création se fait dorénavant à New York, Milan et Londres, et que Paris est en perte de vitesse. Nous n’avons aucun complexe à avoir, même s’il est vrai qu’en France, nous avons du mal à promouvoir nos talents. Le potentiel existe, mais il faut sortir des frontières. Je milite beaucoup pour que les postes d’expansion économique et les centres culturels à l’étranger soient plus représentatifs de la création contemporaine française. Andrée Putman et Philippe Starck sont des stars aux États-Unis, et beaucoup de nos créateurs mènent des chantiers importants dans le monde entier. C’est la preuve que ça peut marcher.

Votre sentiment sur les Grands prix nationaux ?
Je salue l’initiative, mais je regrette le côté partial de cette démarche et son inadaptation. On fait l’impasse sur le design qui, jusqu’à présent, était récompensé avec des créateurs aussi prestigieux que Charlotte Perriand. Le Grand Prix du design a été supprimé sans qu’on nous consulte. Sur un détail comme celui-là, vous faites le lit des Anglais. Le message perçu par l’opinion publique est le suivant : la France, c’est le patrimoine et les musées, l’Italie et l’Angleterre, c’est le design.

Quelles expositions récentes avez-vous particulièrement appréciées ?
“Man Ray”, bien sûr. Mais, dans le fil de mon propos, je conseillerais l’initiative du Comité Colbert sur l’éveil des sens, au Palais de la Découverte ; ce serait bien que toutes les écoles de France y passent. Il faut aussi voir “La gloire d’Alexandrie” au Petit Palais. Je suis sensible à la culture antique car, curieusement, elle est proche de la pensée actuelle, dans la justesse des formes, dans les sens, la symbolique. Je pressens un très fort besoin de sens, qui pourrait s’exprimer par l’ornementation, à la suite de cette période minimaliste que l’on vient de vivre, très influencée par la recherche de la productivité dans les procédés industriels.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : L’actualité vue par Gérard Laizé

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