Le château de la tolérance

Le Journal des Arts

Le 19 juin 1998 - 776 mots

Renouant avec une pratique abandonnée depuis plusieurs années, l’État vient d’acquérir pour quelque 17 millions de francs un monument historique et son mobilier : le château de Ferney, non loin de la frontière suisse, où Voltaire a passé les vingt dernières années de sa vie. Celui-ci devrait abriter un Centre culturel de rencontres consacré aux droits de l’Homme et à la défense de la liberté d’expression, mais aussi au théâtre.

FERNEY-VOLTAIRE - En 1759, Voltaire, souhaitant quitter Genève, achète la seigneurie de Ferney, où il passera les vingt dernières années de sa vie, non seulement à “cultiver son jardin”, mais aussi à défendre inlassablement les idées de liberté et de justice. Cette demeure attachée à la mémoire du grand philosophe, ainsi que le parc de sept hectares et une partie du mobilier et des collections, viennent d’être acquis par l’État pour environ 17 millions de francs auprès des descendantes de la famille Lambert, propriétaire des lieux depuis 1848, par l’intermédiaire de Christie’s. “L’État français se portant rarement acquéreur de propriétés privées, je suis très fier que Christie’s ait pu jouer un rôle fondamental”, s’est d’ailleurs félicité son vice-président pour l’Europe, François Curiel. Catherine Trautmann, ministre de la Culture, a pour sa part souligné le caractère exceptionnel de cette acquisition, le bâtiment ne présentant pas de qualités esthétiques particulières. “C’est en hommage à Voltaire et à ce qu’il représente, et pour que sa mémoire conserve en ce lieu une présence presque tangible, que la République intègre sa demeure dans le patrimoine de la Nation”, a-t-elle affirmé.

Bataille juridique
Ce rachat marque le terme d’une affaire pendante depuis le début de 1996, lorsque les sœurs Lambert avaient décidé de vendre le château. Craignant pour le patrimoine voltairien qu’elle souhaitait mettre en valeur, la municipalité socialiste a agité le spectre d’une vente à un groupe privé étranger, voire à la mafia russe... Les mésaventures des châteaux de Rosny et Louveciennes ont d’ailleurs montré la légitimité de telles craintes. Les communes proches et le département ont rapidement apporté leur soutien à la ville de Ferney, avant que le ministre de la Culture de l’époque, Philippe Douste-Blazy, n’évoque l’intention de l’État d’acquérir le seul mobilier. Mais le financement n’était pas à la hauteur de cette ambition. À la demande de la commune et afin d’empêcher la vente à un groupe privé, le préfet de l’Ain a exercé son droit de préemption sur le domaine et ses environs. Le tribunal administratif de Lyon ayant rejeté en février dernier le recours contre cette décision, les propriétaires actuels et leurs héritiers canadiens se sont finalement résolus à vendre à l’État. L’édifice rejoint ainsi les 400 monuments historiques dépendant de la Direction de l’architecture et du patrimoine. Peut-être aurait-il été souhaitable que la municipalité puisse acquérir elle-même le château, en vue de privilégier une gestion de proximité. Malgré le bon état relatif de la demeure, quelques travaux seront nécessaires avant son ouverture au public, vraisemblablement au début de l’année prochaine.

Les souvenirs de Voltaire
Parmi la cinquantaine de pièces acquises avec la demeure, figurent le pastel représentant l’écrivain attribué à Maurice Quentin de La Tour, un portrait de Marie-Thérèse d’Autriche par Pierre Lion, don de l’impératrice, une suite de douze fauteuils “à la reine” Louis XV, dont la garniture a été brodée par la nièce de Voltaire, un portrait en tapisserie de Catherine II sur satin dans un médaillon de fleurs par Philippe de Lasalle, offert par l’auteur en 1771, et un médaillon de Joseph Rosset en terre cuite représentant Voltaire accueillant des paysans. Le mobilier sans relation directe avec le philosophe sera vendu par Christie’s à l’automne.

De Ferney, où il a reçu nombre de grands esprits de son temps, Voltaire a lancé quelques-unes de ses plus virulentes attaques contre l’intolérance et l’obscurantisme avec le Traité de la tolérance ou le Dictionnaire philosophique, ou encore contre l’arbitraire en défendant Jean Calas ou le chevalier de la Barre. Madame Trautmann estime qu’”il est essentiel, dans une période où les discours de haine tentent de saper les fondements du pacte républicain, de se souvenir du message des Lumières, de l’aspiration à la dignité de l’homme, à la liberté d’expression et à l’universalité portée par les philosophes du XVIIIe”. Aussi un Centre culturel de rencontres, consacré aux droits de l’Homme et à la défense de la liberté d’expression, aux études voltairiennes et au théâtre, verra-t-il le jour au château de Ferney, en association avec la ville de Genève. Toutefois, la question du financement laisse planer une incertitude sur le projet. Si l’engagement de l’État est acquis, la participation du Conseil général de l’Ain et surtout celle du Conseil régional de Rhône-Alpes restent tributaires des tensions politiques locales.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°63 du 19 juin 1998, avec le titre suivant : Le château de la tolérance

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