Auctioneers et galeristes : une nouvelle rivalité

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 969 mots

De la satisfaction à la forte inquiétude.

Douglas Baxter, galerie PaceWildenstein
La percée de Sotheby’s sur le “marché de détail” n’a rien de très surprenant. Il suffit de regarder celui qui se trouve à la tête de l’entreprise : Alfred Taubman, magnat de l’immobilier qui a fait fortune en construisant des centres commerciaux. Il n’est pas dé­taillant de métier, mais il est obligé de vendre ses centres à des commerçants de détail. Pour réussir, il doit se mettre à leur place et il y réussit très bien.

Jeffrey Deitch, Deitch Projects et Sotheby’s
Au milieu des années soixante-dix, les acheteurs d’art contemporain ne songeaient pas à la revente. Il s’agissait moins d’un investissement que d’une sorte de passion. Le fait d’en attendre un profit a totalement transformé leur façon d’appréhender l’art actuel.

Richard Feigen, marchand
Le manque de marchandise est évident. Il transparaît dans les ventes impressionnistes et modernes, comme dans celles de maîtres anciens. À la recherche d’œuvres, les maisons d’enchères se sont tournées de plus en plus vers l’art de l’après-guerre et ont pris pied sur le marché de l’art contemporain. Mais on ne peut en déduire qu’elles sont prêtes à traiter directement avec Jeff Koons ou d’autres artistes comme lui, avec le risque de devoir ensuite gérer des problèmes relationnels. Il en va de même pour les gens qui ouvrent un restaurant : ils aiment la bonne cuisine, mais à moins de s’appeler la Tour d’Argent, ils ne peuvent s’attendre à réaliser de gros profits. Il y a beaucoup d’œuvres mais peu d’argent à gagner sur le marché de l’art contemporain. La motivation pour travailler dans ce secteur ne doit pas être uniquement financière.

Marwan Hoss, galeriste
C’est en réaction à la désertion des galeries au profit des salles de vente et des foires que nous avons créé l’Association des foires internationales d’art contemporain (Icafa), dont je suis le vice-président, et que nous avons édicté une charte qui interdisait à tout membre participant à une foire de l’Icafa d’exposer des galeries soutenues ou achetées par des maisons de vente. Thomas Blackman a ainsi été expulsé car il avait accueilli à l’Art Chicago la galerie Emmerich, rachetée par Sotheby’s. Ce phénomène de percée des maisons de vente sur le marché de l’art contemporain n’en est qu’à ses débuts. Bientôt, des auctioneers organiseront des foires. C’est déjà un peu le cas pour Tefaf Bâle. Je suis relativement inquiet car les maisons de vente opèrent de plus en plus comme des galeries, avec des moyens très importants. Grâce à leur surface financière et aux relations publiques qu’elles entretiennent, elles arrivent à réunir des œuvres de qualité et risquent ainsi de détenir une situation de monopole sur le marché de l’art, dont les collectionneurs risquent de pâtir. Ceci dit, nous reconnaissons l’utilité des salles de vente. Le marché de l’art est en croissance, en ce moment, et les bons résultats enregistrés par les auctioneers y sont pour quelque chose. Ils agissent, en outre, comme un baromètre de la cote d’un artiste auprès du public. Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous nous alignons sur les prix qu’ils pratiquent.  Je me bats pour préserver mon métier. Si nous ne sommes pas très forts, nous serons “mangés” par les maisons de vente.

Jérôme de Noirmont, galeriste
L’art contemporain est un marché qui devient financier, avec de grands groupes côtés en Bourse et des hommes d’affaires de premier plan qui s’intéressent et investissent dans ce secteur. Ce marché n’est plus marginal. Il acquiert une sorte de valeur placement. Je ne crains par l’intrusion des maisons de vente dans ce secteur. Pour s’occuper d’artistes, il faut être très présent, les défendre et travailler sur le long terme. Or, les salariés de Christie’s et Sotheby’s ne sont en poste que pour de courtes durées. Ils ne pourront jamais exercer le même travail que les galeries sur la durée, malgré leur incroyable puissance financière. Aujourd’hui, comme avant la crise, les prix sont plus élevés en ventes publiques que dans les galeries. L’art contemporain s’achète en galerie, en première main. Le collectionneur veut bénéficier d’une sorte de priorité. Le jeune art contemporain a peu de chance de percer en vente publique. Notre autre atout tient à la qualité du contact que nous établissons avec les clients et aux explications dont ils peuvent disposer. Je ne crains pas la concurrence des auctioneers, du moment que les ventes aux enchères sont réalisées avec une certaine déontologie. Ce qui n’est pas vraiment le cas pour l’instant. La loi française ne précise-t-elle pas que les artistes ne peuvent pas vendre en vente publique ?

Nathalie Vallois, galeriste
Nous ne sommes pas directement concernés  par cette concurrence, car nous travaillons avec des artistes dont nous organisons les premières expositions et qui n’intéressent pas encore les auctioneers. De façon plus générale, cette implantation des maisons de vente sur le marché de l’art très contemporain peut dans un premier temps être positive, si elle permet de créer une dynamique sur la place parisienne. En outre, les galeries peuvent résister à cette rivalité en exerçant leur métier avec rigueur et en fidélisant leurs interlocuteurs, qu’il s’agisse de clients, d’institutionnels ou d’artistes, en travaillant avec eux dans la durée. Je ne pense pas que les galeristes puissent être remplacés. Il faudra néanmoins que nous nous organisions.

Don et Mera Rubell, collectionneurs
Au cours des cinq dernières années nous avons acheté de belles œuvres aux enchères : Peter Halley, deux tableaux de Basquiat, et aussi Jeff Koons lorsque sa cote était en baisse. Nous achetons aux enchères les mêmes pièces que celles que nous achetons en galerie. Si une œuvre exceptionnelle se présente, peu importe où, nous sommes preneurs. Nous connaissons les prix pratiqués par les galeries, et si une œuvre proposée par un auctioneer est de meilleure qualité, à un prix plus intéressant, nous privilégions la vente aux enchères.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Auctioneers et galeristes : une nouvelle rivalité

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