L’appel de la terre

Terres cuites d’Henri Laurens à la galerie Louise Leiris

Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 432 mots

Natures mortes et figures féminines ont été les deux pôles de l’art d’Henri Laurens, tout en variations inspirées sur ces motifs traditionnels. Les soixante sculptures en terre cuite réunies à la galerie Louise Leiris rendent compte de cette constante recherche formelle.

PARIS - Petit-fils de l’artiste, Quentin Laurens, directeur de la galerie Louise Leiris, offre une somptueuse rétrospective de soixante terres cuites d’Henri Laurens (1885-1954), rassemblées aujourd’hui grâce à un patient travail de plusieurs années et, pour certaines, proposées à la vente entre 200 000 et 1 850 000 francs.

Venu à la sculpture dans le sillage des cubistes, Laurens a ensuite suivi sa propre voie, donnant à son œuvre une cohérence dont les pièces réunies ici rendent compte avec fidélité. Au Cubisme des débuts et à ses plans emboîtés, la terre – matériau malléable s’il en est –, utilisée essentiellement entre 1919 et 1945, a imposé sa souplesse et sa sensualité, donnant naissance à des œuvres d’une voluptueuse rotondité. À la suite de Braque et Picasso, Henri Laurens a fait de la nature morte le support de ses recherches formelles et, dans ses bas-reliefs, s’inspire explicitement de leurs audaces picturales. L’analogie iconographique est doublée d’un indéniable ascendant de la peinture, comme l’atteste l’emploi de la couleur dans des œuvres comme Compotier et raisins (1920).

Mais le Cubisme a d’abord été un bouleversement de l’espace, qui se manifeste en sculpture par l’emploi du contre-relief, remplaçant la bosse par le creux. Ces principes à l’œuvre dans les bas-reliefs se déclinent différemment en ronde-bosse, laissant place à des emboîtements de plans auxquels les variations de la lumière impriment leur couleur changeante. La femme à l’éventail (1919) donne l’exemple de ce jeu subtil du creux et du plein, du plan et du volume, pure recherche formelle. Hors des natures mortes, la figure féminine constitue le thème privilégié de la plupart des œuvres présentées. La femme à la mandoline (1919) fond même malicieusement les deux motifs en un seul.
La courbe, caractéristique de la silhouette féminine, allait donner leur inflexion voluptueuse à ses effigies primitives, tentées par le hiératisme. Cependant, l’élégance et la séduction du poli n’occultent jamais le poids de la matière, attachant les sculptures à la terre dont elles sont issues. Dans les années quarante, ses femmes se replient sur elles-mêmes, tandis que les formes se font plus rondes, et une tension naît de ce double mouvement, exprimant en quelque sorte l’insoutenable pesanteur de l’être.

HENRI LAURENS (1885-1954), 60 TERRES CUITES, exposition-vente jusqu’au 25 juillet, galerie Louise Leiris, 47 rue de Monceau, 75008 Paris, tél. 01 45 63 28 85, mardi-samedi 10h-12h et 14h-18h.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : L’appel de la terre

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