L’École militaire mal aimée

Une réhabilitation ignorée dans les projets de l’Armée

Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 575 mots

Malgré une situation privilégiée face à la Tour Eiffel, l’École militaire ne suscite guère l’intérêt des pouvoirs publics. Ainsi le ministère de la Défense envisage-t-il, dans la plus grande indifférence, d’ajouter un bâtiment supplémentaire à une longue suite de constructions hétéroclites, sans prendre en compte la nécessaire réhabilitation du site.

PARIS - Défigurée par des adjonctions hétéroclites qui étouffent l’architecture d’Ange Jacques Gabriel, l’École militaire devrait de nouveau faire les frais de projets indifférents au génie du lieu. À moins que le ministère de la Défense n’entende les protestations lancées par l’association “L’École militaire, lieu de mémoire”, menée par Claude Trabuc, officier de réserve.

Contrainte à un effort de rationalisation par la professionnalisation de l’outil de défense et la disparition du service militaire, l’Armée prépare discrètement la construction d’un pôle culinaire dans l’enceinte de l’École. Destiné à abriter les nouveaux mess et l’ordinaire de la troupe, ce “culinarium” aurait également pour fonction de réchauffer les plats préparés dans la future cuisine industrielle de Satory, près de Versailles. Il serait construit face à la rotonde Gabriel, à la place du seul bâtiment non classé du site : un manège, dont une moitié sert de parking à la flotte automobile du Premier ministre.

Ce n’est pas la destruction de ce manège, plutôt laid, qui suscite l’inquiétude mais, une fois de plus, une approche purement fonctionnelle des lieux, reproche qui vaut aussi bien pour l’Armée que pour l’Administration. Alors que les organismes peuplant l’École sont pléthore, que les cours ont été transformées en parkings ou en tennis, que d’affreux appentis défigurent les façades de l’avenue de Suffren, aucune réflexion d’ensemble n’est envisagée pour donner au lieu un aménagement digne de son histoire. Celle-ci reste d’ailleurs mal connue. Comme le remarque Claude Trabuc, la dernière étude monographique consacrée à l’École militaire date de cinquante ans. Celle-ci négligeait d’ailleurs la période postérieure au XVIIIe siècle, au cours de laquelle le dessin initial de Gabriel a été dénaturé par une série d’adjonctions, faisant du site un véritable “camp retranché” dans la ville. Seule l’organisation d’un colloque international permettrait d’élaborer une synthèse globale et d’offrir une base historique incontestable à toute évolution future et à la nécessaire réhabilitation.

Un premier plan à long terme
Afin que cesse la politique du coup par coup, le plan Joxe, en 1993, avait tracé quelques perspectives, qui prévoyaient notamment l’ouverture de l’axe Nord-Sud – une manière pour les Parisiens de se réapproprier ce patrimoine – et la division de l’École en deux pôles, intellectuel et technique. Mais les réorganisations intérieures n’ont pas brillé par leur cohérence : le manège de 1855 a été transformé en amphithéâtre, empêchant d’y transférer celui qui est promis à la destruction. La possibilité d’en construire un nouveau, semi-enterré, est désormais évoquée, alors qu’un amphithéâtre aurait plus sa place sous terre. La création de parkings souterrains permettrait également de redonner un visage plus avenant au site – un seul niveau est prévu sous le “culinarium” –, et la Ville de Paris devrait, comme cela lui incombe normalement, prendre en charge les véhicules du Premier ministre.

Bien sûr, le projet est encore en préparation, et les pouvoirs publics ne peuvent se décharger plus longtemps du sort de l’École sur le seul ministère de la Défense. Ce que Claude Trabuc résume en une formule : l’École militaire doit “être considérée avec l’ampleur de vue qui a présidé à l’aménagement du Louvre : le bâtiment de Gabriel mérite autant que la cour Second Empire de Lefuel”.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : L’École militaire mal aimée

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