Musées à louer

Art Premier joue les intermédiaires

Par Martin Bailey · Le Journal des Arts

Le 8 juillet 1998 - 637 mots

Les musées ont depuis longtemps multiplié les sources de revenus, mais un nouveau pas pourrait être franchi avec la société Art Premier. Celle-ci propose ni plus ni moins de louer pour une durée variable des œuvres appartenant à des musées confrontés à des difficultés budgétaires chroniques.

PARIS - Créée en janvier 1997 et installée à Paris, la société Art Premier a lancé un service pour le moins controversé, puisqu’elle propose de louer des œuvres appartenant à des musées. Aux critiques que suscite sa création, elle rétorque qu’elle offre aux musées désargentés “une façon nouvelle de réunir les fonds dont ils ont grand besoin”. Cette société aurait déjà organisé le prêt de 300 tableaux de peintres aussi fameux que Bruegel, Jordaens, Reynolds, Millet, Monet ou Léger, pour décorer des bureaux privés ou figurer dans des expositions à l’étranger. “On imagine mal les musées et les galeries décrocher leur téléphone pour offrir à de grosses entreprises de leur prêter pour un an, à tel ou tel prix, les œuvres qu’ils ont en réserve”, explique un porte-parole d’Art Premier. La société se charge donc de cette démarche, moyennant une commission de 20 % supportée à égalité par le prêteur et l’emprunteur. Pour ce dernier, le prix d’une œuvre isolée est d’environ 7 % de sa valeur d’assurance pour un an, avec des tarifs plus élevés pour des périodes plus courtes et des réductions pour un ensemble d’œuvres. Un cahier des charges impose évidemment des mesures de sécurité particulières.

La Dulwich Picture Gallery – qui sera fermée de janvier 1999 à mai 2000 pour des travaux d’aménagement financés par la Loterie nationale britannique – fait partie des institutions qui négocient actuellement avec Art Premier. Bien que quatre-vingt-dix de ses tableaux les plus importants partent au Japon et en Amérique pour une exposition itinérante pendant cette période, des centaines de toiles demeureront dans les réserves. Son directeur, Desmond Shawe-Taylor, a indiqué qu’il était en pourparlers avec Art Premier, “mais aucune décision n’a encore été prise”. Un musée français a été contacté, mais a décliné l’offre en raison du caractère mineur des œuvres proposées.

Encouragements anglais
Chris Smith, ministre britannique de la Culture, semble avoir donné son feu vert à ce genre d’entreprise, soulignant que de nombreux musées ont en réserve des “atouts” importants, dont la location pourrait constituer “une façon positive de gagner de l’argent”. D’autres se montrent plus réticents, comme Vicky Dyer, conseiller au National Art Collections Fund, qui s’inquiète : “Combien de personnes verront le tableau accroché dans le bureau d’un directeur de banque ? C’est l’insuffisance de l’aide de l’État qui engendre ce souci de gagner de l’argent par tous les moyens.” En France, il ne saurait bien sûr être question de louer les collections, la mission des musées étant d’assurer leur conservation et leur présentation au public, et, en aucun cas, d’en tirer un quelconque profit. Mais Art Premier ne semble pas rencontrer de semblables obstacles en Grande-Bretagne, et affirme négocier avec quatre collections publiques, deux des transactions étant “quasiment conclues”, les deux autres encore au stade préliminaire. Elle traite par ailleurs avec plusieurs col­lectionneurs privés suisses désireux de prêter leurs tableaux, et a fait affaire en Russie avec un grand musée. “C’est un contrat inhabituel, car il est établi pour cinquante ans et comprend des œuvres jamais encore exposées au cours de ce siècle. Nous devrons restaurer les tableaux et les louer à des musées étrangers”, explique Mike Ennis, directeur d’Art Premier. Il reconnaît que son projet n’a pas rencontré que des réactions favorables. “Il a été difficile de familiariser les Européens avec l’idée de location. La relation art/affaires est mieux acceptée aux États-Unis”, explique-t-il. Sans doute, mais que le musée soit public ou privé, les généreux donateurs ou les mécènes ayant contribué à l’enrichissement des collections n’auraient certainement pas souhaité que les œuvres fassent l’objet d’un commerce.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°64 du 8 juillet 1998, avec le titre suivant : Musées à louer

Tous les articles dans Actualités

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque