Restauration

Michel Favre-Félix, président de l'Aripa : « Repenser la méthodologie »

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2008 - 1287 mots

Entretien avec Michel Favre-Félix, président de l’Association pour le respect de l’intégrité du patrimoine artistique (Aripa) qui édite la revue « Nuances »

Le dernier numéro de Nuances, revue de l’association que vous présidez, l’Aripa, dresse une image peu reluisante des restaurations menées en France depuis vingt ans, notamment dans les musées nationaux. Quel bilan faites-vous de ces deux décennies  ?
On vient, en effet, de connaître vingt ans de restaurations esthétiques dites «  fondamentales  », c’est-à-dire qui remettent en question toute l’histoire du tableau  : son vernis ancien, les retouches antérieures et les repeints (même de qualité). La profession en France avait d’ailleurs inventé le terme de «  purification  » pour ces interventions, qui traduit bien leur caractère maximaliste. Cette période de grandes rénovations des musées a multiplié les interventions précipitées et disproportionnées sur des œuvres qui étaient pourtant en bon état général.

Contrairement au «  nettoyage  » auquel il est fait allusion lors des campagnes de restaurations, vous dénoncez en réalité un dévernissage des tableaux…
Le terme nettoyage est extrêmement flou, assez trompeur puisqu’il sous-entend qu’on enlèverait simplement de la saleté. Le nettoyage peut être un simple allégement du vernis, mais, trop souvent, il se traduit par un dévernissage complet et l’élimination de tous les matériaux considérés comme non originaux, ce qui occasionne des risques de dérapages. Certains conservateurs se rendent aujourd’hui compte qu’ils ont été entraînés dans des interventions en cascade qui ont dépassé leur intention initiale de modération. Et le nettoyage qui procède par suppressions est, par nature, une opération irréversible.

Comment se fait-il que certains solvants aient été employés en France alors qu’ils avaient été dénoncés comme dangereux par des spécialistes dès le début des années 1980  ?
C’est la force de la routine, un manque de remise en question et d’attention quant aux connaissances nouvelles. À l’Aripa, nous essayons de faire des études très précises, documentées, dans l’espoir que les erreurs commises et les dommages soient compris beaucoup plus vite. En ce qui concerne les solvants, ou les produits synthétiques utilisés à tort pour les revernissages, on observe qu’entre le moment où les études scientifiques démontrent des dangers d’utilisation et la réaction concrète, s’écoule un délai dramatique.

N’y aurait-il pas un problème dans la formation même des restaurateurs trop centrée sur des problématiques purement techniques  ?
Il est certain que la restauration ne devrait pas être purement technique  ; c’est un domaine bien plus riche que cela. Les réflexions remarquables de Cesare Brandi [auteur de la Teoria del restauro, 1964] et de René Huyghe [conservateur des peintures du Louvre entre  1936 et  1950] au moment où ils ont combattu la montée de méthodes radicales de restauration, dans les années  1950 et  1960, sont malheureusement toujours d’actualité. Ce type de nettoyages qu’ils appelaient «  totalitaires  » s’est répandu sans aucun débat y compris dans des institutions qui se réclamaient théoriquement de Cesare Brandi  ! La problématique de la restauration est d’une très grande richesse et comparativement, quand on étudie les archives, dossiers scientifiques et déroulement des opérations, on constate de grandes différences entre la théorie et la pratique. Reste que les procédés de restauration, les savoir-faire, méritent toujours d’être développés, révisés, pour parvenir à une pratique sûre et dosée.

Vous érigez en contre-exemple la restauration menée en 2004 sur Les Pèlerins d’Emmaüs de Véronèse, toile conservée au Musée du Louvre. Pourquoi  ?
Je veux préciser que cette opération a eu lieu avant que les responsables actuels du département des peintures du Louvre [Vincent Pomarède] et du C2RMF [Centre de recherche et de restauration des musées de France à présent dirigé par Christine Naffah] ne soient nommés. C’est important car un changement s’est amorcé dans nos relations avec ces deux institutions. Nous avons des entretiens suivis avec leurs responsables – ce qui est nouveau – qui se montrent d’accord avec nous sur un principe de précaution et, d’une certaine manière, sur une approche plus «  minimaliste  » de la restauration.
Pour en revenir aux Pèlerins d’Emmaüs, il s’agit typiquement d’une opération qui s’est voulue modérée, mais qui a basculé dans une restauration fondamentale, sans recul critique. L’effacement d’une très ancienne restauration, bien intégrée (sur le pèlerin Luc) a laissé place à une matière picturale dévastée, reprise avec des retouches modernes quasi-abstraites. Sur le visage de la mère de famille, on a fait des retouches aberrantes, très invasives. C’est un travail de déconstruction qui nous éloigne encore plus de l’esthétique originale. Il ne s’agit nullement de refuser la restauration, de laisser dépérir les œuvres, cela n’a aucun sens. Nous avons au sein de l’association des restaurateurs, comme Paul Pfister, qui a mis en pratique au Kunsthaus de Zurich une restauration pondérée, tournée vers la conservation et l’authenticité. Il s’agit maintenant de donner un contenu précis à ces termes «  d’intervention minimale  » et «  d’authenticité  », c’est ce à quoi nous travaillons.

Ne s’agit-il pas plus généralement de définir une nouvelle éthique des restaurateurs  ?
En effet. Après avoir étudié en détail la douzaine de codes déontologiques internationaux, j’en ai conclu que l’éthique professionnelle est devenue extrêmement vague, étant donné l’immense variété des objets concernés. Elle ne permet plus de se guider efficacement. Au-delà des grands principes éthiques sur lesquels tout le monde tombe d’accord, c’est la méthodologie qui doit être repensée – c’est-à-dire la manière dont on conçoit et conduit un projet de restauration. Jusqu’ici, on se lançait dans des programmes où l’œuvre était traitée de A à Z, en opérant par morceaux, et, finalement, par déconstruction. Il faut changer d’approche et de façon de faire  : concevoir autrement et plus précisément des interventions qui doivent être ponctuelles. Au lieu de faire des essais d’enlèvement, prendre le temps d’observer, de réfléchir à ce qu’il vaut mieux conserver et soigner. À mon sens, il n’y a pas assez de discussions critiques entre restaurateurs et conservateurs, et avec, pourquoi pas, l’avis d’experts extérieurs.

À l’heure où ils sont incités à jouer les chefs d’entreprise, les conservateurs ne devraient-ils pas être mieux informés sur les conséquences des restaurations  ?
Certainement. Combien de conservateurs savent quels solvants ont été employés pour nettoyer leurs tableaux  ? Des chefs-d’œuvre du XVIe et du XVIIe  siècle sont couverts de vernis synthétiques appliqués par pulvérisation. Les conservateurs se rendent-ils bien compte de la dénaturation qui en résulte  ?

Quelles sont vos préconisations dans le domaine délicat de la restauration de la peinture ancienne  ?
Chaque tableau devrait être envisagé en prenant pour référence les œuvres comparables les mieux conservées, les moins touchées. C’est une notion qui paraît évidente mais qui n’est pas encore vraiment comprise. À force de nettoyages répétés sur des tableaux déjà maltraités, on aboutit à des couleurs et des valeurs faussées,  parfois d’un éclat flatteur, mais pas du tout celles d’origine. Il faut dire que le refus du jaunissement d’un vernis est un préjugé du goût moderne, encore difficile à dépasser. La situation commence à évoluer, dans certains pays, avec des recherches de reconstitution de vernis historiques, dont il est avéré qu’ils présentaient un ton doré, avec aussi la découverte de tableaux ayant encore leur couche d’origine (que les techniques nouvelles permettent enfin d’analyser), des vernis vieux de plusieurs siècles et toujours magnifiques. On commence à les préserver, heureusement, et ces tableaux peuvent servir de modèles esthétiques objectifs, en dehors des préjugés de goût. C’est pourquoi on doit s’efforcer de conserver les vernis anciens, même s’ils ne sont pas d’origine, qui correspondent par leur épaisseur et leur ton doré naturel, à la technique picturale employée par l’artiste pour construire son tableau. Ils sont indispensables pour que les peintures à l’huile expriment leurs qualités essentielles, de profondeur et de suavité. Les critères de nettoyage des peintures sont remis en discussion, dans des musées comme le Getty par exemple. La France devrait prendre part à ce débat.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Michel Favre-Félix, président de l'Aripa : « Repenser la méthodologie »

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