PAROLES D’ARTISTE

Damián Ortega

Par Frédéric Bonnet · Le Journal des Arts

Le 25 novembre 2008 - 788 mots

« Comprendre le monde d’une manière très abstraite »

Entre science et banalité, fidèle à ses installations où toujours s’impose une dynamique, l’artiste mexicain Damián Ortega donne à voir au Centre Pompidou, à Paris, une installation qui joue avec le regard et les modes de perception.

La première chose vue en pénétrant dans votre installation Champ de vision (2008) est un grand dessin figurant la table des éléments moléculaires de toutes les matières, redessinée avec des cercles. Avez-vous un intérêt particulier pour la science  ?
J’en ai un, en effet, mais toujours sous un angle non professionnel. Ce qui m’attire est plutôt une façon de comprendre le monde d’une manière très abstraite, ou d’avoir des idées sur les interprétations sur comment classifier ou appréhender la matière. Les structures qui forment la matière m’intéressent, et j’utilise les atomes ou les molécules comme des principes de la structure ou de l’intérieur des objets.

Derrière ce premier mur se répand une vaste installation faite de six mille sphères de Plexiglas colorées et suspendues à des câbles. S’agit-il d’une translation du dessin en volume  ?
Je souhaitais en effet que s’opère ce changement en traversant une ligne après laquelle vous puissiez voir un volume géométrique, une sorte de très gros cône long de 30  m flottant dans l’espace. En cheminant à travers, vous vous intégrez à cet élément. Vous êtes engagé dans cette structure atomique. L’idée était de faire un voyage, d’avancer en profondeur à l’intérieur même de la matière. Finalement, vous pouvez marcher et avoir une expérience très physique et sensitive avec la perception des couleurs et des sphères flottantes. Au bout de l’espace se trouve une dernière salle, vide à l’exception d’un judas percé dans le mur. Vous y voyez une image recomposée par tous ces éléments de couleur. Ce genre de plaisanterie avec le trompe-l’œil m’intéresse beaucoup, particulièrement quand la question de l’illusion est liée à l’expérience physique, la réalité, la mémoire et la matérialité du concept.

Pourquoi ce motif recomposé est-il un œil  ?
J’ai trouvé cette image d’un œil dans la rue, en Argentine  ; c’était un poster au mur. J’en ai pris la photo, l’ai agrandie et fait apparaître les points de couleur. Cela m’intéresse d’explorer une image, d’aller profondément à l’intérieur. Mais aussi d’aller du microcosme et de l’individualité, de l’objet à une forme qui fasse partie d’un grand système graphique et complexe. J’ai voulu également amplifier ce très petit espace, couche après couche, entre un extérieur et un intérieur du corps. Me plaît aussi la sensation de vide, car tous les matériaux de l’installation peuvent être compressés en seulement deux caisses. L’espace est vraiment plein de vide  !
Avec ce cliché vous questionnez la perception visuelle. Est-ce aussi une manière de remettre en question la science elle-même  ?
Il m’importe plutôt que l’œuvre s’adresse au visiteur afin de produire une analyse ou un changement de conception des choses dans son esprit. Ici vous êtes à l’intérieur et à l’extérieur, et en même temps vous avez tort des deux côtés  !

Cette façon de questionner les phénomènes de la perception est-elle dans votre esprit liée à une manière générale de voir le monde  ?
J’aime travailler avec cette idée de limite, de frontière, de passage de la rue à la maison, d’individualité au politique. Ce changement suppose que vous faites partie du système, mais qu’en retour vous pouvez aussi le modifier. Nous sommes tous formés par un mélange entre organisation politique et expérience individuelle.

Est-ce pourquoi vous utilisez dans votre sculpture beaucoup d’éléments très concrets, issus du réel  ? Je pense entre autres à Molecula de glucosa expandida (1992-2007) actuellement exposée dans les salles du musée, qui est faite de capsules de bouteilles.
Exactement. Cet exemple est intéressant car il a trait à la micro-expérience, au micro-objet qu’est l’atome dans la structure moléculaire. Ici, ce sont des capsules d’un soda énergisant que j’ai collectées au Mexique. En les alignant, je reprends l’architecture de la molécule de glucose. J’aime jouer avec ce micro-atome d’une expérience humaine qui consiste à boire et ainsi avoir une influence sur la substance afin de trouver de l’énergie. C’est d’autant plus intéressant que le Mexique est le plus gros consommateur mondial de sucre.

Même lorsque rien ne bouge, il y a dans tout votre travail une très importante sensation de dynamique…
Je lisais récemment un article scientifique disant que rien n’est statique et que tout est en mouvement, que tout change et est dans un processus de reconstruction, mais aussi de dégradation et de mort. Absolument tout  ! J’aime énormément cette idée.

DAMIÁ?N ORTEGA. CHAMP DE VISION, jusqu’au 9 février 2009, Centre Pompidou, 75191 Paris, Tél. 01 44 78 12 33, www.cen trepompidou.fr, tlj sauf mardi 11h-21h. Cat. éd. Centre Pompidou, 104 p., 18 euros, ISBN 978-2-84426-370-4.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°292 du 28 novembre 2008, avec le titre suivant : Damián Ortega

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